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Publié le 24 Août 2010

Les larmes de la rue des Rosiers, par Alain Vincenot (*)

En 1967, Pia Colombo chantait :



…Il n’y a plus de roses
Dans la rue des Rosiers,
Il n’y a plus de roses,
Elles sont mortes en été.
Que reviennent les roses
Dans la rue des Rosiers
Que fleurissent les roses
Sur les anciens rosiers



Quelque cinquante ans plus tard, ce ne sont plus les roses qui ont disparu, mais toute l’âme du Pletzl que les boutiques de mode qui s’installent au fil des ans là où, autrefois, des tonneaux offraient au chaland, à même la rue, des salaisons, là où, autrefois, on pouvait acheter ses carpes et ses poulets vivants, là où, autrefois, des centaines de familles juives animaient un quartier désormais voué aux visites touristiques. Certes et fort heureusement, malgré l’intrusion de la modernité, le Pletzl, avec ses boucheries et ses restaurants cachers, ses marchands de falafels, ses boulangers qui proposent toujours leurs halote de chabbat et ses synagogues, continue de maintenir un cachet juif, mais on ne peut ignorer que la Shoah a décimé, il y a quelques décennies, sa population bigarrée et laborieuse venue d’Europe de l’Est.
Un peu à la manière de Georges Perec-qui s’inspirait lui-même d’une idée du peintre Serge Valène- dans La vie mode d’emploi (1), Alain Vincenot nous propose de revisiter le Pletzl, rue des Rosiers et artères avoisinantes : rue Mahler et rue Vieille-du-Temple, rue des Écouffes et rue Ferdinand Duval, rue des Francs-Bourgeois et rue des Hospitalères-Saint-Gervais…



Toc, toc,toc…L’auteur revient un demi-siècle en arrière. Y-a-t-il quelqu’un au 20 de la rue Ferdinand-Duval ? Et au 14, rue de Sévigné ? Et ici, et là ??? Oui, il y a la mémoire de ceux qui sont miraculeusement revenus. Ou de leurs enfants. Alain Vincenot a pieusement questionné ces survivants et recueilli leurs témoignages qu’il nous offre dans ce très beau livre. Voici Claude Hampel, qui vient de prendre la suite de Jacqueline Keller pour l’organisation annuelle de la cérémonie du Soulèvement du Ghetto de Varsovie, Claude Hampel, ancien de l’Unzer Wort de Jacques Cypel qui garde vivace la mémoire de la presse yiddish et d’un temps où des dizaines de journaux paraissaient à Paris dans cette langue assassinée par les nazis. Voici Claude Berger, un dentiste pour le moins original puisqu’il s’est mis en tête, un jour, de diriger et d’animer un restaurant musical et philosophique en plein Marais, Le train de vie. Voici Milo Adoner, ancien de Blechammer, toujours actif au sein de la Commission « Shoah » du Consistoire de Paris. Et bien d’autres encore. En tout, une vingtaine de témoins, parmi les derniers. Chacun raconte, avec simplicité, son parcours et sa tragédie. À travers leurs récits, des figures qui ont marqué leur temps surgissent, ici et là : Henry Bulawko, Devi Tuczynski, le « prince des miniaturistes », l’imprimeur Abram Gelbard, le peintre Marek Rudnicki, l’éducateur polonais Janus Korczack…



Des notes détaillées notamment sur les grandes institutions OSE, ORT, UGIF, WIZO, sont très précieuses et un beau cahier photographique permet de mettre un visage sur tous ces personnages émouvants.



Remarquable.



Jean-Pierre Allali



(*) Éditions des Syrtes. Mars 2010. Préface d’Élie Wiesel. 288 pages. 20 euros
(1) Éditions Hachette. 1978