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Une seule ombre au tableau, à l’issue de cette équipée inouïe et d’une audace folle : la mort du commandant de la mission, le lieutenant-colonel Yonathan Netanyahu.
Véritable héros d’Israël, considéré par Shimon Peres comme l’un des sept bâtisseurs qui, avec notamment Ben Gourion ou le poète Nathan Alterman, ont marqué l’histoire de l’État hébreu depuis 1948 (**), Yoni Netanyahu est une gloire nationale. Son nom a été donné à des rues, à des écoles ou à des jardins du pays.
Qui était, dans son for intérieur, ce jeune homme, mort au champ d’honneur dans la fleur de l’âge, quelles étaient ses pensées les plus secrètes, ses ambitions, ses croyances et ses espoirs ?
La publication en français des « Lettres de Yoni » permet de découvrir un personnage émouvant, sensible, à mille lieux du baroudeur qu’on pourrait imaginer.
Fils de Benzion Netanyahu, un grand érudit israélien, rédacteur en chef de l’Encyclopedia Judaïca, frère de Binyamin dit Bibi qui allait devenir Premier ministre d’Israël, Yoni partage son temps entre les États-Unis où il étudie à Harvard et où ses parents se sont installés pendant plusieurs années, et Israël, où, après son service au sein de Tsahal, il gravit, avec brio, les échelons militaires.
Le courrier qui est présenté recouvre les années 1963 à 1976. Des lettres à son père, à sa mère, Tsila, à Bibi et à son autre frère, Iddo, à ses amis, à celle qui allait devenir sa femme, Teresa Krasnolski dite Touti. Des lettres où il se livre entièrement, sans fards. Féru de mathématiques et de physique, il est aussi un amoureux de philosophie et de poésie. Ici et là, au détour d’une phrase, quelques lignes de Paul Verlaine, de Rudyard Kipling ou de Bialik, agrémentent une missive presque toujours écrite dans la hâte.
D’une constitution exceptionnelle, Yoni, était capable de dormir peu tout en travaillant énormément, avec une énorme rage de dépasser ses propres limites. Comme il le raconte à sa famille : « En ce qui me concerne, j’ai très peu de difficultés. Comparé aux autres, je suis dans une excellente forme physique. Les marches ne me sont pas pénibles… » et, plus tard, « Lorsque je réfléchis aux raisons pour lesquelles je suis tellement attiré par les parachutistes ou plus exactement, à ce qui me permet de tenir le coup ici, j’en arrive à la conclusion que le facteur en question, c’est la difficulté, le besoin de vaincre les obstacles ; et par-dessus tout, le besoin de me prouver à moi-même que je suis capable de faire tout ce qui est exigé ici, et même bien davantage ».
C’est à l’armée, incontestablement, que Yoni se sent le mieux. Au risque de négliger son épouse et de divorcer. Mais, pour lui, l’amour d’Israël est un véritable sacerdoce, une mission sacrée pour laquelle il est prêt à se sacrifier.
Nationaliste farouche, Yoni, à l’armée, a l’occasion de découvrir le pays dans toutes ses dimensions : « Je ne l’avais pas ressenti jusqu’à présent avec une telle intensité. Je savais que le pays existait, que j’y vivais en ce moment et que s’il en était besoin, je combattrais pour lui, mais ressentir le lieu, le sol, les montagnes et les vallées d’Israël, cette sensation-là, je ne l’ai ressentie que maintenant ».
Cet amour infini de la patrie n’empêche pas Yoni de porter un regard lucide sur les difficultés que rencontre le pays. Son opinion négative sur les pays arabes et sur le terrorisme n’a d’égale que sa certitude que Tsahal doit en découdre, en répondant très fort à ses adversaires. « Ma conscience nationale est sans aucun doute plus forte que celle des Arabes, je me bats bien mieux qu’eux et il en va de même pour tous les soldats israéliens. Ils n’ont aucune chance (pas même une petite). »
Les dernières lettres sont marquées par un certain désenchantement à l’égard de la classe politique dont les préoccupations lui semblent éloignées de celle du peuple : « Le fossé entre notre vie quotidienne et notre vie politique est stupéfiant. Nous sommes confrontés à une série de guerres (que nous gagnerons) et nous passons notre temps à nous occuper de lois religieuses à la Knesset, de grèves d’aéroports, d’achats de tissus et de vieux meubles et de « Quand nous marions-nous ? ». Peut-être est-ce bien ainsi, mais il y a là quelque chose de ridicule et de pathétique. Il y a aussi comme des miettes de ce qui est éternellement humain ».
Un très beau livre.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Safed, Avril 2005, 376 pages, 25€
(**) Shimon Peres, L’Héritage des Sept, Éditions Stock, 1981.