Bourseiller remarque d’abord qu’en dépit de divergences politiques, les mouvements d’extrême gauche apparaissent comme de fermes soutiens des États arabes les plus laïcs. Le compagnonnage est particulièrement visible en Algérie, remarque l’auteur. Il remonte aux années 50. Les trotskistes ont joué un rôle important quoique discret dans la guerre contre l’État français. Combien de clandestins du FLN ont bénéficié des « planques » de la Quatrième Internationale, se demande l’auteur ? L’Algérie n’est pas un cas isolé. Les révolutionnaires ont noué au fil des ans des relations étroites avec certains régimes : la Syrie, l’Algérie, la Libye et, bien sûr, l’Irak de Saddam Hussein, souligne Christophe Bourseiller.
« Les organisations communistes justifient ces liens en invoquant la lutte anticolonialiste. La révolution doit selon eux jaillir des luttes de libération nationale du tiers-monde. Il faut soutenir les États arabes « progressistes », dans l’espoir d’enclencher une dynamique globale. « Progressiste » : le mot est lâché. Pour les gauchistes, il n’est pas question de soutenir une « dictature cléricale ». Haro sur l’Iran. On ne tourne les yeux que vers les régimes à prétention « socialiste ». Le « baasisme » est ainsi présenté par certains comme un modèle « déformé ». De même, on apporte volontiers ses suffrages au Front populaire de libération de la Palestine de Georges Habache, en raison de son discours laïc et marxiste léniniste. L’islam est perçu a contrario comme foncièrement rétrograde. »
Cependant, si par le passé, les mollahs « étaient considérés comme des « réactionnaires », « oppresseurs des femmes », ils apparaissent désormais « comme les nouveaux hérauts de l’anticolonialisme. » Comment expliquer cette modification des perspectives, s’interroge l’auteur ? « Certains activistes trotskistes ou postmaoïstes livrent le diagnostic suivant : en perpétrant les attentats du 11 septembre 2001, les islamistes radicaux ont démontré leur capacité logistique. Ils ont acquis du même coup dans le monde arabe une énorme popularité. Mieux encore, la nébuleuse islamique se révèle profondément hétérogène. Existe-t-il un espace politique pour un islam « socialiste » ? C’est là qu’apparaît Tariq Ramadan », souligne l’auteur. « Ce penseur musulman n’est pas très éloigné dans ses conclusions de la « théologie de la libération » du prêtre catholique dom Helder Camara. Tout comme il existe des « curés rouges », qui prennent les armes pour parvenir à la justice sociale, verra-t-on surgir des « mollahs rouges » prônant un islam social et révolutionnaire ? C’est le pari d’une frange grandissante de l’extrême gauche internationale. »
Bourseiller rappelle que Ramirez Sanchez (dit Carlos) a publié un livre-manifeste au titre révélateur : L’Islam révolutionnaire. Le militant marxiste-léniniste y affirme notamment que « l’islam et le marxisme-léninisme sont les deux écoles dans lesquelles j’ai puisé le meilleur de mes analyses. » Pour l’ancien cadre du FPLP, les marxistes doivent aujourd’hui résolument appuyer les islamistes, parce que le retour à l’islam accompagne un rejet du modèle occidental. » Carlos apporte en conclusion son soutien à Oussama Ben Laden et use à son propos d’un vocabulaire révolutionnaire : « Cheik Oussama, en raison de son immense charisme, est certainement un cas unique dans l’histoire récente […]. C’est un internationaliste panislamiste. »
Marc Knobel
Le meilleur des mondes, printemps 2007, n°3, p.41-43, 15 euros.