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Par exemple, l’expression « Juif perfide » se retrouve dans le Code Théodosien. Elle a acquis une dimension théologique exceptionnelle grâce à la prière Oremus du Vendredi saint, seule prière concernant les Juifs qui s’est maintenue dans la liturgie catholique du haut Moyen Age, jusqu’à ce que le Pape Jean XXIII l’abolisse. De la même manière et dès le début du XIVe siècle, lorsque des doctrines démonologiques furent agréées par le Saint-Siège, le Juif fut considéré, à l’instar de la sorcière (le premier procès connu de sorcellerie eut lieu en 1335 à Toulouse) avec laquelle il fut souvent assimilé, comme un suppôt du monde satanique, d’où l’expression « Juif démoniaque » communément utilisée pour qualifier le Juif. Empêchés de posséder et de travailler la terre, les Juifs ont exercé à l’époque médiévale un éventail de métiers, embrassant surtout l’artisanat, la médecine, le négoce et le prêt. Le confinement d’un certain nombre de Juifs dans le prêt à intérêt, dénommé « usure », fut le résultat d’une politique délibérée de l’Eglise et le Juif est vite devenu l’archétype de l’usurier hideux (en raison d’un autre poncif de l’antijudaïsme ecclésiastique), remontant à la figure de Judas l’Iscariote, le traître aux trente deniers.
Dans ce court ouvrage de moins de 200 pages, Carol Iancu -professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paul-Valéry de Montpellier III et Directeur de l’Ecole des hautes études du judaïsme- livre son analyse (riche et rigoureuse) et décortique méticuleusement les mécanismes qui se sont mis en branle pour diaboliser le Juif et en faire la quintessence absolue du mal : une entité perverse, redoutable, dominatrice, jalouse, corrompue et corruptrice.
Autant de qualificatifs et de désignations folles et perverses, trimbalées d’un pays à un autre, d’un continent à un autre, d’une époque à une autre et se modifiant ou s’articulant au cours des temps. Toutes les calomnies et perfidies qui légitimèrent toutes les détestations, toutes les oppressions, les meurtres jusqu’à ce que le régime nazi en donne une dimension apocalyptique avec la Shoah : des millions d’hommes, de femmes et d’enfants seront exterminés uniquement parce qu’ils sont juifs.
Plus près de nous, comment se fait-il que les mensonges les plus éhontés -fabriqués de toutes pièces au début au XXème siècle- comme les Protocoles des Sages de Sion rencontrent un si grand succès dans la sphère arabo-musulmane, jusqu’à devenir la trame d’un feuilleton à succès qui a été retransmis en 2002 par la télévision égyptienne ? Pourquoi s’escrime-t-on à présenter Israël comme un Etat belliciste, représentant un danger pour la paix mondiale ? « Après la guerre des Six Jours, « un nouvel antisémitisme » revigoré par le négationnisme s’est manifesté par des mythes nouveaux ou « recyclés » : le complot sioniste mondial », le « sionisme=racisme », la « collusion sionisme nazisme », les mensonges scandaleux à propos d’Auschwitz. » Carol Iancu déplore ce « Un phénomène qui s’est radicalisé par la montée de l’islamisme dans les pays arabes les plus hostiles à Israël et dans certains milieux de la diaspora musulmane occidentale (manifestée en France par une vague d’attentats antisémites…). Un phénomène que nous avons pu également observer dans la perspective des mythes européens « décalqués » ou « recyclés » dans les pays arabo-musulmans. »
Marc Knobel
Carol Iancu, Les mythes fondateurs de l’antisémitisme de l’Antiquité à nos jours, Editions Privat, 2003, 23 euros.