A lire, à voir, à écouter
|
Publié le 20 Mai 2005

Les secrets d’un diplomate par Avi Pazner

Disons le d’emblée, ce livre est un pur régal. Il se lit très rapidement et l’on savoure les innombrables récits et portraits qui jalonnent cette saga exceptionnelle, celle de l’Etat d’Israël. Depuis l’année 1965 où il entre au ministère des Affaires étrangères Avi Pazner s’est trouvé au cœur de la chose politique et diplomatique. Ce fidèle serviteur de l’Etat, qui est aussi un brillant diplomate et un très fin connaisseur des médias a côtoyé ou travaillé très étroitement avec les hommes qui ont façonné et porté ce pays d’une manière ou d’une autre, notamment les Premiers ministres Golda Meir, Menahem Begin, Benyamin Netanyahou, Shimon Peres, Yitzhak Rabin, Yitzhak Shamir ou Ariel Sharon, mais encore les ministres de la défense ou des Affaires étrangères Abba Eban, Moshé Dayan ou Moshé Arens.



Avi Pazner est au cœur de l’événement, surtout lorsque l’actualité est dramatique, lorsque la mobilisation est générale, lorsqu’une crise secoue le pays, lorsqu’un danger menace l’Etat d’Israël. Il seconde et conseille les ministres le plus utilement. Il donne aussi son avis et fait part de ses observations et commentaires, fussent-ils dérangeants.

Il assiste également aux entretiens privés des grands de ce monde. Ainsi rencontre-t-il l’ancien président des Etats-Unis Jimmy Carter, qu’il dépeint de la manière suivante : « Carter était intraitable, il avait porté un jugement prématuré sur les positions israéliennes sans toutefois les connaître vraiment. Nous vécûmes à cette époque (en 1978) de grands malentendus avec les Etats-Unis, qui nous rappelaient la période difficile des négociations du désengagement du Sinaï. Contrairement à Henry Kissinger qui était juif, le président Carter, avec ses convictions baptistes, se comportait sans ménagement envers Israël ; il était d’une franchise brutale, insensible à la complexité spécifique du conflit israélo-arabe et à l’héritage juif. » De François Mitterrand, Avi Pazner dit qu’il « était amical mais resta distant. Le regard vif, les mains soignées, il parla avec habilité et calme, comme un maître à un élève chahuteur. » De Yasser Arafat, Avi Pazner trouve seulement qu’il avait une « main humide et un regard fuyant ».

Dans son ouvrage, Avi Pazner est quelquefois sans concession lorsqu’il se souvient d’événements qui ont marqué l’histoire du pays. Il raconte par exemple et dans le détail l’opération paix en Galilée qui intervint quelques jours après que l’ambassadeur d’Israël à Londres, Shlomo Argov, fut attaqué par des terroristes palestiniens le 3 juin 1982. La réponse du Premier ministre de l’époque, Menahem Begin, à cet attentat allait être « foudroyante. » Trois plus tard, les soldats de Tsahal pénétrèrent sur trois axes en territoire libanais. Le but initial de Begin était de « mettre tous les villages de Galilée hors de portée de tir des terroristes de l’OLP ». Mais, raconte Avi Pazner, Ariel Sharon qui avait en charge l’opération militaire, visait plus loin. Le plan stratégique qu’il mijotait depuis longtemps était d’expulser tous les membres de l’OLP du Liban et de constituer un nouveau gouvernement pro-occidental dirigé par les Chrétiens alliés d’Israël, raconte Avi Pazner. « Le plan Sharon (qui) était trop fragile, s’écroula comme un château de cartes. Le fameux général perdait au grand jour sa partie de poker. L’opération Paix en Galilée, qui était au départ confinée à un rayon de quarante kilomètres, se transforma subitement en une guerre totale. »

Ailleurs, Avi Pazner rappelle des faits, des circonstances, des moments touchants. Et il décrit ces moments avec beaucoup de sensibilité et d’amour. Avi Pazner rappelle ce qui s’était passé lorsque Yitzhak Shamir se rendit en Argentine, en décembre 1982 avec une liste impressionnante de mille sept cents noms de Juifs « disparus » durant la junte militaire. Shamir rencontra les représentants de la communauté juive et plus de deux mille personnes se rendirent au théâtre municipal pour entendre le discours du chef de la diplomatie de l’époque. Shamir parla dans sa langue maternelle, le yiddish et raconta son parcours, ses combats et ses luttes. Il raconta pourquoi son père avait été livré à la Gestapo par des chrétiens polonais qui l’avaient caché. Il raconta, la gorge serrée et la voix grave et tremblante, la mort de son père et cette homme solide et imperturbable se mit soudain à pleurer en évoquant ses souvenirs d’enfance. Autre moment fort du livre, l’assassinat d’Yitzhak Rabin, le 4 novembre 1995. « Tout à coup et simultanément, Eitan Haber et le professeur Barabash furent appelés par l’intermédiaire d’un bip. Sans dire un mot, ils se précipitèrent vers la sortie. Les agents de sécurité venaient de leur transmettre une nouvelle fatale. Soudain, la maîtresse de maison, Batia Dissenchik, s’écria : « On a tiré sur Rabin ! »… « Collé à la radio et à la télévision, j’essayais de récolter des bribes d’information. Une demi-heure après, la nouvelle horrifiante tomba : Eitan Haber, devant l’hôpital, lut aux journalistes un communiqué officiel annonçant le décès de Rabin, la voix brisée par l’émotion. J’observai Marty (la femme d’Avi Pazner), qui était plongée dans le plus grand désarroi ; nous étions incapables de croire en cette affreuse nouvelle : nous nous apprêtions à célébrer avec Rabin notre départ pour Paris et voilà que nous étions plongés dans le deuil avec tout le peuple d’Israël. »

Des pages comme celle-là dans ce livre, il y en a des dizaines. Tout au long de notre lecture, nous retrouvons donc les moments héroïques ou tragiques de l’histoire d’Israël et du peuple juif : la guerre du Kippour, les Juifs de l’ex-URSS ou l’antisémitisme en France… Autant de pages qui font de ce récit un véritable monument historique.

Marc Knobel

Avi Pazner, Les secrets d’un diplomate, Editions du Rocher, 2005, 21 euros.




Avi Pazner reçoit un cadeau souvenir lors d'une rencontre avec Jean-Paul II



A Rome avec Yitzhak Rabin



2002: Rencontre avec une délégation du CRIF en Israël