Dans cet ouvrage alerte qui se lit d’une traite, Michel Lejoyeux examine toutes les addictions, toutes les situations, tous les cas. Parfois sur le ton de l’humour avec des sous-titres comme : « Le fast-food fait-il perdre la mémoire ? », « L’optimisme est bon pour la santé » ou encore « Chewing-gum et mémoire », mais en gardant à l’esprit la nécessité d’un discours scientifiquement étayé, l’auteur, par ses exemples édifiants, nous fait pénétrer au plus profond des mécanismes peu connus qui conditionnent les comportements humains.
En effet, comme on l’apprend à la lecture du livre, il y a des éléments objectifs qui permettent d’affirmer que les optimistes vivent plus longtemps que les autres. Par exemple dans les cas d’infarctus du myocarde. On sait que les optimistes ont moins tendance à la thrombose. D’une façon plus générale, leur statut immunitaire est meilleur. Les corrélations biologico-psychologiques sont avérées. Mieux, la dimension « optimisme » qu’on sait aujourd’hui mesurer par le biais d’une échelle d’évaluation, est une dimension majeure de la santé.
Au fil des pages, souvent surprenantes pour un non initié, on découvre que la mémoire n’est pas univoque et qu’il existe même trois types de mémoire chez l’homme : ce sont la mémoire explicite, la mémoire implicite et la mémoire autobiographique. Elles ne sont pas sous le contrôle des mêmes zones du cerveau. La base cérébrale de la mémoire explicite est l’hippocampe. Cette zone profonde du cerveau est l’une des plus riches en connexions. Les émotions de la mémoire implicite ou subjective viennent de l’amygdale, une autre zone cérébrale profonde. Enfin, c’est le lobe frontal qui garde la mémoire autobiographique.
Michel Lejoyeux, soucieux de ne laisser aucune zone d’ombre quant à nos comportements, cite un chercheur, Björn Meyer qui a dressé une liste impressionnante d’addictions et d’attitudes pour le moins étonnantes. On y retrouve bien sûr la drogue, l’alcool, le tabac, mais aussi le café, le chocolat, l’exercice, les jeux d’argent, la musique, l’Internet, les achats, le travail, l’amour. On découvre les manies étranges des philobathes, passionnés de fêtes foraines, les ocnophiles, l’oblomovisme ou encore l’acédie. Même les moines sont concernés, pris, eux, par une « toxicomanie de l’inaction », des gens dont « la musique de leur vie se joue sur une seule note ». Certes, il convient de ne pas tout mélanger car il existe de vraies dépendances comportementales qui donnent lieu à des contraintes fortes et dommages comme le jeu. C’est pourquoi il a été créé dans notre pays une Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (MILDT). Deux ou trois autres nouvelles attitudes comme les achats compulsifs ou l’addiction sexuelle sont elles aussi de réelles addictions. Mais tout n’est pas addiction. Le danger, estime Michel Lejoyeux, c’est de ne pas réagir face aux vraies addictions.
Très sensible aux questions touchant au judaïsme et à Israël, Michel Lejoyeux, évoquant la création de l’État d’Israël, au sortir de la catastrophe de la Shoah puis les guerres auxquelles a été confronté cet État, notamment la tristement célèbre « période des Scuds », nous parle des méthodes originales de soins pratiquées dans ce pays. À propos de la Shoah, Michel Lejoyeux rappelle comment les rescapés ont dû « cadenasser leur mémoire pour survivre malgré les images qui traversaient leur esprit », devenant des « athlètes de l’amnésie et des experts contraints de la non-transmission ». Il cite le cas d’un ancien déporté, Siegi Hirsch, qui a longtemps raconté à ses enfants que le numéro à six chiffres tatoué sur son avant-bras était celui du téléphone d’un vieil ami. Néanmoins, pour dépasser le traumatisme et transmettre l’indiscible, certains, dit l’auteur, se sont réapproprié leur histoire en témoignant. En Israël, le psychologue militaire Moshé Bensimon a développé une thérapie auprès de soldats traumatisés, dite des « tambours de Bar-Ilan », qui consiste à taper sur des tambours, dans une sorte de « rage sonore ».
Les psychiatres connaissent depuis longtemps les phénomènes comme celui appelé « syndrome de Stendhal ». Le célèbre écrivain, parlant de Florence, décrit l’état second, à la limite de l’évanouissement, dans lequel il se trouve en sortant de Santa Croce. La psychiatre italienne Graziella Magherini a, pour sa part, décrit plus de cent cas observés parmi les touristes visitant Florence. Proche de ce phénomène, Michel Lejoyeux nous fait découvrir le « syndrome de Jérusalem ». Douze cents personnes auraient connu ce syndrome depuis vingt ans et une vingtaine sont hospitalisées chaque année à l’hôpital Kfar Shaul ! De quoi s’agit-il ? D’un bouleversement, psychique et physique. Les victimes sont inquiètes et nerveuses, veulent se séparer de leur groupe ou de leur famille pour visiter seules la capitale d’Israël. Elles ressentent le besoin d’être propres et pures, ne cessent pas de prendre douches et bains, de se tailler les ongles des mains et des pieds, se parent, pour certaines, d’un drap blanc, crient, hurlent, chantent des psaumes et déclament des sermons. Une statistique a permis d’évaluer que 66% des voyageurs bouleversés par Jérusalem étaient juifs, 33% chrétiens et 1% sans religion. Impressionnant !
Des tests et échelles sont proposés en fin d’ouvrage ainsi qu’une riche bibliographie.
Remarquable et passionnant.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Plon. Septembre 2009. 318 pages. 21,90 euros