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Publié le 22 Avril 2008

Les trois religions du livre I. Le bonheur juif (*)

Une fois n’est pas coutume, la revue de référence des lacaniens de France, La Célibataire, se lance dans l’étude et la critique des trois religions monothéistes. Les titres choisis pour chacune des croyances donnent d’ailleurs une idée de l’orientation générale des propos actuels et à venir. Le judaïsme inaugure la série avec « Le bonheur juif » (automne-hiver 2007). Il sera suivi l’an prochain, à la même époque avec, pour l’islam, « Les délices de l’islam ». Entre-temps, les Chrétiens se fustigeront avec « La souffrance chrétienne » (printemps-été 2008). Aux Chrétiens donc, la dure pénitence, aux Musulmans, les jardins parfumés du paradis et aux Juifs, le bonheur. Encore faut-il savoir de quel bonheur il s’agit. Pour y accéder, la parole est donnée à une vingtaine d’auteurs dont le moins qu’on puisse dire est que leurs textes sont disparates et, bien que très intéressants pour la plupart, ne permettent pas de dégager une quelconque unité.


Psychanalyste, Charles Melman, dans son éditorial, donne le ton : « Les Juifs ont la chance d’avoir un Dieu sympa, et même saint papa, bien entendu ». Le rabbin Yossef Attoun, qui est aussi psychologue et éducateur à Jérusalem, lui emboîte le pas, parlant, lui, de « Jouissance bénie ». « S’il y a un Créateur, dit-il, la joie est possible et aussi le salut » avant de développer le thème de l’ascèse juive et du « Nazir » et de conclure que « la vie juive selon la Tradition n’est ni une apologie de la mortification, ni une invitation à l’hédonisme, ni même un compromis entre les deux. Elle est un projet dynamique et évolutif d’élévation de soi, dans toutes les dimensions de l’être, jusqu’aux appétits les plus grossiers, qui devront eux aussi révéler finalement leur origine divine ». Très belle définition, en vérité. Après une évocation de la figure de Jésus vue par le Talmud, par Anne Cathelineau qui nous rappelle que pour les Juifs, à l’époque, Jésus était un « megadef », un blasphémateur, Emile Malet, Maya Nahum et Serge Moati optent pour le récit de souvenirs personnels avant que Guy Sitbon ne persifle sur le ton de l’humour : Heureux les Juifs ? C’est une plaisanterie : « Soyons sérieux, un peuple ça ? Regardez-les, non mais regardez-les. On voit bien qu’ils ressemblent à un peuple comme une ratatouille à la macédoine ». Entre deux textes un peu plus théoriques, l’un de Georges-Arthur Goldschmidt, traducteur, notamment de Nietzsche, et l’autre de la psychanalyste Claire Brunet, Cyrille Fleischman, conteur délicieux s’il en fut, nous narre, dans une nouvelle inédite, les tribulations, entre la Bastille et l’Hôtel de Ville, comme toujours, du truculent Ignacy Kivniks. Le texte le plus étonnant est probablement celui publié sous la plume de Frédéric Giet, spécialiste de B.D. et d’Internet qui nous présente « Le Livre du Boz », pierre angulaire de l’œuvre pour le moins étrange de Julien Friedler. Daniel Sibony, toujours excellent, revient d’Israël avec « un désir de vie indestructible » et conclut : « Lorsqu’on me demande si un jour il y aura enfin la paix, je réponds qu’il y aura souvent la paix et qu’il faut être reconnaissant à tous ces acteurs, juifs et arabes, de soutenir et de supporter la dissension intrinsèque à l’humain ». Pour Henri Meschonnic, le bonheur juif est une blague et Charles Melman rappelle la réponse subtile de Lacan à un rabbin venu l’interroger sur l’opportunité d’une analyse : « Vous n’en avez pas besoin, vous avez la Cabale ».
Avec le docteur Jean-Jacques Tyszler, psychanalyste et psychiatre, nous découvrons la personnalité mystérieuse de la Reine de Saba et, avec sa consœur, Choula Emerich, nous pénétrons les mystères de la Kabbale tandis que le lacanien Pierre-Christophe Cathelineau se lance dans une lecture borroméenne du Midrach.
Philosophe, Brigitte Sitbon-Peillon examine l’ambivalence de Bergson, partagé jusque son lit de mort, entre la conversion au christianisme et le désir de rester fidèle au judaïsme alors que le peuple juif est en danger de mort. Enfin, Pierre Zaoui trouve son bonheur dans la lecture des Psaumes tandis qu’A.B. Yehoshua nous offre une belle analyse de la ligature d’Isaac, la aquédah. L’ultime texte, de Marc Nacht, revient, lui aussi, sur la aquédah en évoquant l’affaire Al Dura et son exploitation médiatique qui continue de faire couler beaucoup d’encre.
Un ensemble dense et riche. On attend avec intérêt les deux autres volumes.
Jean-Pierre Allali
(*) N° 15 (Automne-Hiver 2007) de La Célibataire (Revue de psychanalyse clinique, logique, politique). 168 pages. 25 euros.