Comme dans ses précédents ouvrages, Francis Weil est précis, concis et percutant. À la base de cet antisémitisme qui perdure à travers les âges et les pays, il y a, nous dit-il, un concept essentiel, celui de l’altérité. D’une altérité irréductible. « Celle qui fait du Juif non seulement un non-Chrétien ou un non-Musulman, mais un Autre total, un Autre absolu, un Autre fondamentalement et définitivement autre ». Pour l’antisémite, les Juifs sont des étrangers, des traîtres, des comploteurs, des diables, des vampires, des déicides. À la racine de cette croyance, de ces racines du mal, la théologie de la substitution qui a voulu faire de la chrétienté, le véritable Israël, Verus Israël. En témoigne la fameuse « Synagogue aux yeux bandés » de la cathédrale de Strasbourg. Sans oublier l’hérésie de Marcion qui niait jusqu’à l’origine juive du christianisme, ouvrant la voie aux théoriciens racistes du XIXème siècle. À ceux qui argumentent en avançant le fait incontestable que depuis Vatican II, l’Église a changé, qu’elle s’est rapprochée des « frères aînés », Francis Weil répond : « Vous avez raison et vous avez tort ». Car même chez ceux, notamment à gauche, qui se sont éloignés de toute croyance, l’antisémitisme a des racines religieuses. Quant à l’islam, il n’est pas en reste. Et bien que la hargne antijuive de certains musulmans se rapporte incontestablement au conflit israélo-palestinien, il ne fait pas de doute, pour l’auteur, que « si demain, par malheur, une bombe atomique vitrifiait la terre d’Israël en évaporant ses habitants, l’antijudaïsme musulman poursuivrait sa carrière ». Citations du Coran à l’appui, Francis Weil, analyse la tradition musulmane de la « dhimmitude », estimant que, contrairement à ce qui est communément admis, à savoir que l’antijudaïsme musulman s’est greffé sur l’antisionisme, c’est le contraire qui s’est produit : « l’antisionisme s’est greffé sur l’antijudaïsme musulman originel ».
Face à ceux qui, au mépris de la vérité et de la plus élémentaire décence, osent affirmer que « Hitler était une créature des Juifs, qui devaient construire Auschwitz de façon à pouvoir s’emparer de Jérusalem », Francis Weil s’insurge : « Non, Sharon n’est pas Hitler ; c’est un ancien militaire sans état d’âme qui, confronté à une situation de guerre imposée, poursuit son projet politique, comme l’on fait en leur temps De Gaulle et Churchill ».
Face à ce déferlement raciste, qui touche désormais les écoles de la République, il faut lutter sans relâche. « L’anti-antisémitisme doit être religieux et d’abord, dans les conditions actuelles, musulman ». C’est pourquoi, dit Francis Weil, « la création, le 21 novembre 2004, de l’Amitié judéo-musulmane de France, devrait être un élément d’espoir ».
Un petit ouvrage bien argumenté et très documenté.
Jean-Pierre ALLALI
(*) Éditions du Cosmogone. 124 pages. 15€