Mala, c’est l’archétype de celui qui, plongé dans l’horreur des camps de la mort, parvient, au prix d’une volonté et d’une détermination inouïes, hors du commun, à surmonter l’indicible et à se comporter avec humanité. Face à l’ignominie absolue de l’hitlérisme, Mala, c’est la résistance, l’intelligence, l’amour. Ce qui lui permet, au moment même de sa mort atroce, de vaincre la mort.
L’auteur a interrogé des dizaines de survivants de la Shoah. Certains ont été très proches de Mala, d’autres l’ont entr’aperçue. Tous en gardent un souvenir impérissable. Certes, ce type d’ouvrage ne permet pas d’éviter les redites, mais c’est la loi du genre.
Si un certain flou demeure quant à l’histoire édifiante de cette héroïne méconnue, les recoupements permettent de brosser un portrait probablement très proche de la réalité et un descriptif des événements aussi fidèle que possible à ce que fut la réalité. Une chose est sûre : on ne saurait jamais toute la vérité sur Mala.
Mala, Mally pour les intimes, en réalité Malka Zimetbaum, fille de Pinkas Zimetbaum-Hartman et de Chaya Schmelzer est née le 26 janvier 1918 à Brzesko, en Pologne. Cinquième et dernière enfants du couple, véritable garçon manqué, elle manifeste très tôt un goût prononcé pour la lecture et les langues. Outre le polonais et le yiddish, elle pratiquera l’allemand, le français, le russe, le flamand et l’anglais. Lorsque les Zimetbaum réalisent que les conditions de vie pour les Juifs en Pologne ne permettent pas d’y envisager d’y demeurer plus longtemps, la famille émigre. Pinkhas Zimetbaum se retrouve d’abord seul, en 1926, à Anvers, en Belgique. Son épouse et ses enfants le rejoignent, le 12 mars 1928.
En 1933, Mala adhère au mouvement scout de jeunesse sioniste Hanoar Hatsioni, avec, en toile de fond, un projet déjà bien ancré dans sa tête : rejoindre l’État juif en gestation pour vivre dans une société égalitaire idéale, le kibboutz. Hitler, hélas, avec ses projets fous et monstrueux, en décidera autrement.
1939. Mala a vingt et un ans. Une belle brune aux yeux gris.Les bruits de bottes se font menaçants en Europe. Le 18 mai 1940, Anvers tombe aux mains des troupes allemandes. Désormais, pour les 70 000 Juifs de Belgique, c’est le début de la fin : politique antijuive, restrictions, création de jeunement, travail forcé, étoile jaune…
Le 22 juillet 1942, Mala est arrêtée et incarcérée au Fort Breendonck avant d’être transférée à Malines avant d’être convoyée, le 15 septembre vers Auschwitz-Birkenau.
Rapidement sélectionnée pour la chambre à gaz, elle en échappe miraculeusement grâce au premier adjoint au commandant du camp qui a tôt fait de remarquer les qualités de cette déportée. Nul doute, dans son esprit, que cette polyglotte serait plus utile aux nazis vivante que morte.
Et Mala sera Lauferin, coureuse, ou coursière, une sorte de factotum tout terrain aux ordres de la Chef, la Lagerführerin Maria Mandel, surnommée « La Bête » et de ses deux adjointes, Irma Grese et Margot Dreksler.
Quel charme, quel ascendant, la petite juive polonaise a-t-elle pu exercer sur ses infâmes geôlières pour disposer de la liberté qui sera la sienne. Difficile à dire. Le fait est, toutefois, que Mala, « interprète-chef » du camp, bénéficiera d’un statut privilégié tant du point de vue de ses conditions de « logement » que de la nourriture dont elle peut disposer ou des vêtements auxquels elle a droit.
Elle aurait pu profiter de cette chance pour se contenter égoïstement de ces avantages personnels. Ce qui fait la grandeur de Mala, c’est sa volonté, dès le début, de faire bénéficier les autres de son statut : conseils, encouragements, passe-droits, interventions providentielles pour épargner les malades et les plus faibles. Mala sera l’âme du camp, une goutte de rosée dans un océan de fange.
Parallèlement, une obsession la taraude : comment faire savoir au monde extérieur ce qui se passe dans les camps ?
Sa rencontre, le 5 septembre 1943, avec un détenu polonais, Edward, dit Edek ou Edziu Galinski, dont elle tombe follement amoureuse, va la conforter dans son projet d’échapper à Auschwitz. Pour vivre et pour témoigner.
Avec des complices, un plan astucieux est échafaudé. Mala se déguisera en plombier chargé de transporter un lavabo et Edek en soldat allemand supposé l’escorter. Le 24 juin 1944, Mala, déportée n°19880 et Edek parviennent à s’échapper et se dirigent vers la Slovaquie. Hélas, la cavale sera de courte durée. Repris le 6 juillet, les deux héros seront exécutés le 15 septembre, dans des conditions atroces. Ils feront, l’un et l’autre, montre d’un courage exemplaire. Mala réussira même, à l’aide d’une lame de rasoir, à se taillader les veines et à gifler son bourreau.
Il faut être reconnaissant à Gérard Huber d’avoir sorti Mala Zimetbaum et Edek Galinski, d’une forme d’oubli. Un cahier photo et divers documents complètent cette belle étude Très intéressant.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions du Rocher. Mai 2006. 312 pages. 20,90 €
(1) Lorenz Sicherschmidt. Mala, ein Leben und eine Liebe in Auschwitz. Éditions Donat. Brême. Allemagne. 1995.