Il ne faut pas oublier, comme le souligne le rabbin Claude Sultan dans sa préface, que la Babylonie représente un pan de son histoire pour le peuple juif. Hillel, Ezra, le Talmud, le Targoum d’Onkelos, les académies de Soura, Poumbedita et Néhardéa, sans oublier le caraïsme, tout cela a pris naissance dans ce qui deviendra plus tard l’Irak.
L’histoire familiale de l’auteur avec les personnages truculents de Baba et de Rachel d’Aboudi, de Ménaché, d’Isaac, de la tante Gourdjia, de Nana Salha, des oncles Joseph et Abdullah et des tantes Simha et Daizy, les petites misères et les grands bonheurs au quotidien, sont sympathiques à découvrir et nous montrent que la vie de la communauté juive à Bagdad ne différait somme toute pas trop de celle qu’ont connue les Juifs de Tunisie ou d’Égypte. Mais les pages les plus intéressantes sont celles qui concernent les relations avec la communauté musulmane, des relations en dents de scie, alternant, selon les périodes et les lieux, le meilleur et le pire.
Après l’indépendance du pays en 1930, la montée du nazisme d’une part et l’émergence du sionisme d’autre part, donnent le coup d’envoi d’une période sombre qui va aller en se détériorant.
« La montée du nazisme dans les années trente a tout de suite attiré la sympathie de la quasi-totalité de la population-surtout au sein de l’armée : une manière d’exprimer un sentiment de nationalisme et d’anti-impérialisme franco-britannique ». « La situation de la communauté juive dans le pays commença à se dégrader. Finies la bonne entente et la cohabitation pacifique : la peur s’installa ». Des Juifs sont assassinés, la synagogue Zilkha incendiée. Le pire viendra sous le régime pro-nazi de Rachid Ali El-Geilani avec le farhoud, c’est-à-dire le pogrome de juin 1941 qui fit plus de 150 victimes.
Après la proclamation d’indépendance de l’État d’Israël qui voit l’Irak se joindre aux agresseurs de l’État juif à peine né, la communauté juive se retrouve en porte-à-faux. Les tracasseries et les harcèlements se multiplient et la tension monte. « Le ciel s’assombrissait rapidement pour les Juifs, au fur et à mesure que la situation en Palestine se détériorait pour les Arabes ».
Curieusement et en dépit du bon sens, l’Irak va favoriser l’immigration de sa population juive en direction d’Israël. La loi du 9 mars 1950 autorise les Juifs à quitter le pays à condition de renoncer définitivement à leur nationalité. Ce fut la fameuse opération « Ezra et Néhémie ». Edmond Samuel, parallèlement à sa narration du départ des Juifs d’Irak consacre plusieurs pages à la destinée similaire des Juifs du Yémen, de Syrie, du Liban, d’Égypte, de Tunisie, du Maroc et d’Algérie.
Si la plupart des membres de sa famille opteront pour Israël, l’auteur, lui, choisira Paris.
Un cahier photographique agrémente le livre ainsi que des documents annexes dont l’un relate l’enterrement mouvementé du grand rav Abdullah Somekh en 1889.
Un ouvrage intéressant qui ravira les défenseurs des droits et de la mémoire des Juifs des pays arabes.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions L’Harmattan. Décembre 2010. Préface du rabbin Claude Sultan. 244 pages. 24 euros.
(1) Adieu Babylone. Mémoires d’un Juif d’Irak. Préface de Michel Tournier. Éditions Albin Michel. 2003.
Photo : D.R.