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Publié le 3 Novembre 2011

Mihal Gans, «Survivre: les enfants dans la Shoah», une recension de Stéphanie Dassa

C’est un précieux album que nous offrent l’historienne Mihal Gans et les éditions Ouest-France en publiant « Survivre : les enfants dans la Shoah ».




"Vous pensez connaître l'Histoire, mais vous ne connaissez que la fin. Pour en atteindre le cœur, il faut la reprendre au début » écrivait Shakespeare en exergue de son Henri VIII.



Question névralgique que celle des enfants figurant au cœur du projet nazi et non pas à sa marge ; il s’agit d’éradiquer à la racine même la présence juive en Europe et dans le monde et (comme si ce projet génocidaire inouï apparaissait finalement incertain à ses architectes) d’empêcher ces enfants juifs devenus adultes de se venger des assassins de leurs parents.



Deux raisons qui suffisent à éliminer un million d’enfants et entament radicalement la courbe démographique du peuple juif et le fragilisant pour des siècles.



Auteur d’une thèse sur Treblinka et longtemps directrice du département français du musée israélien Beit Lohamé Hagetaot, Mihal Gans embrasse ici un sujet qu’elle maîtrise parfaitement et qu’elle n’omet pas de replacer dans le contexte historique de l’Europe née du traumatisme de 1914.



Son livre n’est ni une oraison funèbre ni un sermon lacrymal. Elle a choisi de donner la parole aux enfants rescapés de la Shoah. Le terme de rescapé constitue en soi un trompe l’œil. Ces enfants s’ils n’ont pas perdu la vie, ont perdu tout ce qui la rend vivable en premier chef la candeur de l’enfance et la protection des parents. Ces enfants sont orphelins et cette condition déterminante a irrémédiablement scellé leur existence.



A l’heure où ils livrent leur souvenirs d’Europe, ils sont évidemment devenus adultes même si le langage courant les a essentialisés dans cette condition d’enfant en les qualifiant ainsi pour mieux les replacer sans doute sur le mètre étalon de l’histoire...



A Mihal Gans ils ont livré leur quotidien d’avant-guerre, les longues journées de travail de leurs parents, leur monde imaginaire, leur judaïsme plus où moins éclairé, le départ pour la Palestine mandataire de certains proches. La seconde partie de l’ouvrage est consacrée au défi de la survie, c'est-à-dire à cette période de leur vie aux jours de planque et aux nuits gorgées de solitude. Enfin, le dernier chapitre brosse les jours désenchantés, ceux d’après que l’auteur nomme avec Haïm Gouri la « victoire aux yeux rougis et aux cheveux blancs. »



10% de l’ensemble des enfants juifs d’Europe ont survécu et 5000 sur un million en Pologne. Comme un cri dans le silence renvoie l’épaisseur du silence, ces chiffres ne rendent que plus abyssaux ceux des enfants juifs assassinés.



Dès qu’il est question d’enfants pris dans les serres d’un génocide, il nous vient comme un (bon) réflexe d’éviter le pathos, le « lamento éploré » que fustige à raison l’historien Georges Bensoussan. Pour comprendre la singularité du sort des enfants juifs dans la Shoah, il faut prendre appui sur l’histoire seule.



Mais quel cœur normalement palpitant n’est pas lourd des cendres de leur souvenir ?



Car il n’est de mots plus justes ni plus visionnaires que ceux du poète Blaise Cendrars dans sa « Prose du Transsibérien » rédigé en 1913 pour dire le destin des enfants juifs nés dans l’entre-deux guerres : Foutez mon enfance par terre, ma famille et mes habitudes. Mettez une gare à la place…
Mihal Gans Survivre : les enfants dans la Shoah
Editions Ouest France, 2011-11-02 17,90 €
Photo : D.R.