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Publié le 12 Mars 2007

Murmures d’Alexandrie Par Minou Azoulai (*)

À travers la saga d’une famille juive égyptienne, c’est toute la tragédie du déracinement et de l’exil que nous conte, dans un récit tendre et savoureux, Minou Azoulai.


« Je rentrais de l’école, accompagnée par le chant du muezzin. C’était un vendredi d’octobre. L’automne était très clément, et j’avais huit ans, là-bas à Alexandrie ». Le calme et la sérénité précédaient une tempête que seuls les adultes commençaient à entrevoir. Pour l’heure, le changement qui s’opérait peu à peu se traduisait par l’arrêt des cours d’arabe et de danse, pour cause de maladie de mesdames Samira et Inès, les enseignantes.
Toujours pleine de sons et de couleurs, Alexandrie continuait de vivre au rythme des chansons à la mode. Sur les plages, on fredonnait, insouciants, « Aïe, aïe, aïe, Maria, Maria de Bahia… ». Mais en ville, le changement, sournois, s’opérait. On ne grignotait plus pendant des heures les pépins blancs, les soudanis ou les pois chiches grillés. Dans les cafés, les tables de trictrac sur lesquelles les dés avaient coutume de s’entrechoquer, restaient vides. Les devantures fermaient bien avant l’heure, les gens, d’habitude nonchalants, marchaient de plus en plus vite. Puis ce fut le couvre-feu, les sirènes stridentes. Les familles juives, de plus en plus apeurées, découvraient les titres des journaux parlant de « l’agression tripartite anglo-franco-israélienne » contre l’Égypte. Octobre 1956. Les Juifs d’Égypte, installés dans le pays depuis des millénaires, bien avant l’arrivée des Arabes, se préparaient à l’exode qu’ils pressentaient définitif.
Et puis, un matin, sans crier gare, la guerre s’introduit dans la famille juive de Marie Minou. Des gens simples et tranquilles qui n’ont commis comme seul crime que celui d’être juifs. « Des menottes cliquettent, des sanglots s’étouffent, des portes claquent encore. Mon père dit trois mots indistincts, en français. Les soldats, ils doivent être trois, assènent leurs ordres en arabe. Silences et fureurs mêlés ».
Georges, le père, emprisonné, la famille décide de quitter l’Égypte pour la France. En abandonnant tout ou presque. « Un après-midi, trois jeunes Égyptiens, en civil, se présentèrent à la maison, avec pour mission d’embarquer nos meubles et nos objets personnels. –Vous êtes expulsés, bredouilla le plus petit d’entre eux, on a l’ordre de ramasser vos biens. Laissez-nous travailler ».
Au port où l’on retrouve enfin le père, amaigri, barbu, méconnaissable, mais sauf, heureusement, le bateau est là pour le grand départ. Treize jours d’un voyage éprouvant et, au bout, la France, terre d’exil. Le soleil d’Alexandrie n’est plus qu’un souvenir. Il faut tout rebâtir à zéro en apprenant à ne plus rouler les « r » pour ne pas paraître étrangers. L’hôtel, les maisons de banlieue qu’on occupe à plusieurs familles. De Savigny-sur-Orge à Nanterre, la vie finit par reprendre son cours et le dessus sur la tristesse infinie de l’exil.
Et puis un jour, bien plus tard, c’est le retour au pays, le pèlerinage tant espéré. Elle est toujours là, Alexandrie, avec sa rue Fouad, ses marchands ambulants de foul, la saveur citronnée des feuilles de vigne et du miel des khonafas que confectionnait Olga, la grand-mère. Mais les Juifs, eux, ont disparu. Le petit cimetière juif de la ville est abandonné aux ronces. Alexandrie n’est plus Alexandrie. Un livre nostalgique et tendre.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Creaxion. Mars 2006. 208 pages. 16€