À travers l’odyssée d’Edmond Dwek, dit Nonno, né le 1er mars 1919 à Alexandrie, issu d’une modeste famille de tailleurs originaires de Syrie, patriarche féru de Torah et d’hébreu, c’est la saga des Juifs d’Égypte que l’on découvre avec nostalgie.
L’auteur remonte à l’époque des premiers Ptolémée, quand, vers 332-331 avant J.C., Philon témoignait « de la réussite sociale d’une communauté juive hellénisée, prospère et érudite », rappelle les colonies juives telle celle d’Éléphantine, près d’Assouan pour arriver, peu à peu au XIXème siècle, sous Mohammed Ali, avec la création de l’Alliance Israélite Universelle ou encore du B’nai B’rith. L’Égypte, alors, c’était une population bigarrée avec ses autochtones, certes, mais aussi avec ses Grecs, ses Italiens, ses Espagnols, ses Syriens, ses Libanais, ses, Autrichiens, ses Marocains et ses Juifs. « Les minarets, les églises et les synagogues témoignaient du respect de tous les cultes, et tout ce petit monde vivait en bon entendement, malgré les inégalités sociales que chacun acceptait comme une fatalité. On se réveillait à l’appel du muezzin qui lançait à l’infini son « Allahou akbar » D. est grand-sur lequel tout le monde s’accordait-quand ce n’était pas au son du tambourin qui invitait les musulmans à manger, les nuits de ramadan, pendant qu’il en était encore temps. Les cloches des Églises sonnaient le dimanche et, tous les chabbats, on pouvait voir les Juifs se rendre à la synagogue, chapeau sur la tête, livre et châle de prière dans leur étui de velours sous le bras, pour sanctifier le jour de la création. Ces derniers savaient pouvoir compter sur leur bon voisin arabe pour réchauffer le repas à leur place afin de contourner l’interdiction d’allumer le feu ce jour-là. Le général Naguib en personne n’allait-il pas éteindre les lumières de ses voisins juifs à la tombée de la nuit du shabbat ? »
Le général Naguib, parlons-en justement. C’est lui, qui, en 1952, renversera le roi Farouk et expulsera les étrangers dans ce qui allait devenir l’Égypte de Gamal Abdel Nasser.
Dès lors, la vie paisible des Juifs, leurs promenades en felouka sur le fleuve, leurs apéritifs autour d’un plat de fèves, les foul médamès accompagnés de petits pains ronds au sésame, les courourias, les mamoules aux dattes et les sambouseks au fromage, tout cela va brusquement s’évanouir car un matin de juillet 1956, « les Alexandrins s’éveillèrent au son de la sirène et des hauts-parleurs qui vociféraient à la population arabe en liesse « le canal est à nous », « le canal est à nous ». Le colonel Nasser venait d’annoncer du haut d’un balcon d’Alexandrie son intention de se saisir avec son armée du Canal de Suez pour en exploiter les droits de passage au profit de l’Égypte ». En un tournemain, les Juifs, souvent de nationalité anglaise ou française, souvent aussi apatrides, sont dépouillés de leurs biens, emprisonnés ou expulsés. « Commença alors un exode déchirant vers l’Europe, les États-Unis et Israël de toute la communauté franco-anglaise dont beaucoup, comme mes parents, étaient juifs ».
Il n’y a plus aujourd’hui que quelques Juifs isolés en Égypte. Le récit de Fortunée Dwek enrichit la mémoire souvent oubliée d’une communauté qui fut vivante et dynamique.
Une riche iconographie complète l’ouvrage ainsi qu’une liste très précieuse des sites internet relatifs aux Juifs d’Égypte et, plus généralement, des Juifs en terre d’islam.
Très intéressant.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions L’Harmattan. Juin 2006. 264 pages. 22€