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Car ça y est. Le couteau est entré dans la chair. Doucement, très doucement, il a commencé sous l’oreille, très en arrière du cou. Certains m’ont dit que c’était un rituel. D’autres, que c’est la méthode classique pour trancher, tout de suite, la corde vocale et empêcher la victime de crier. Mais Pearl s’est cabré. Il a furieusement cherché de l’air dans son larynx charcuté. Et le mouvement qu’il a fait est si violent, la force qui lui est revenue si grande, qu’il échappe à la prise de Karim, hurle comme une bête et s’effondre, en râlant, dans son sang qui coule à flots. Le Yéménite à la caméra hurle aussi. Le Yéménite tueur le regarde et s’arrête. La caméra n’a pas fonctionné. Il faut, pour la caméra tout arrêter et recommencer… »
Ce livre commence le 31 janvier 2002, jour de la mort de Daniel Pearl, ce journaliste (juif) américain enlevé, puis décapité, à Karachi, par une bande de fous de Dieu. Bernard-Henri Lévy décide de consacrer le temps qu’il faudra, alors qu’il ne connaissait même pas l’homme, à élucider sa mort, cette mort affreuse. BHL va explorer ces ténèbres en journaliste. L’enquête minutieuse a duré un an, et le mène de Karachi à Kandahar, en passant par New Delhi, Washington et Londres.
A l’aéroport de Karachi, son passeport, visiblement, surprend le policier : « Lévy ? Fait-il, incrédule… are you Lévy ? Is your name, really, Lévy ?
Un instant, BHL se dit qu’il va invalider la thèse selon laquelle, les Pakistanais n’ont jamais vu un Juif de leur vie. Et puis, la mémoire bangladaise le revenant, il se souvient que, dans ce pays, « Lévy » est le nom d’un bataillon de paramilitaires prestigieux, inventés et baptisés par les Anglais pour faire la police aux frontières. Etrange et curieux hasard.
L’enquête commence et s’étale en 525 pages alertes et passionnantes. Mais ce livre est plus qu’une enquête journalistique. BHL revient constamment sur les traces de Daniel Pearl, il pose ses pas dans ceux du journaliste américain, pour imaginer ce qu’il a senti, vécu, souffert. Et l’essai - car il s’agit aussi d’un essai - est magistral. Parce que le livre trace le pourquoi du comment, dresse l’état de la nébuleuse fondamentaliste et parle très justement des assassins, parce qu’il dissèque de long en large les passions aveugles et la folie qui caractérise les disciples et émules d’Oussama Ben Laden. En un Pakistan qui se caractérise par la violence, le mensonge et, où couvent les petites apocalypses de demain.
Un seul regret. Car le livre de BHL est aussi roman. Fallait-il pour nous en rendre la lecture plus aisée et plus juste, que le philosophe tente de se substituer à Daniel Pearl et nous livre les quelques dernières pensées du journaliste américain ? Qui pense en Daniel Pearl et exprime ses angoisses et dernières locutions, si ce n’est Bernard-Henri Lévy ?
Qui est qui ?
On répondra que le genre vaut toutes les audaces et qu’il fallait assurément oser. Pourtant, il est quelquefois comme des pensées qui ne peuvent être révélées ou imaginées, tant elles sont profondes…
Marc Knobel
Observatoire des médias
Bernard-Henri Lévy, Qui a tué Daniel Pearl ? Grasset, 2003, 20 euros.