Dans cet ouvrage sincère, alerte et sympathique, un principe revient constamment, celui de « l’avant et l’après ». On se souvient de l’émouvant discours du Grand rabbin Sitruk à la Grande Synagogue de la Victoire après l’assassinat d’Ilan Halimi. « Il y aura désormais, affirmait en substance Joseph Sitruk, un avant et un après Ilan ». Comme on le découvre au fil des pages, il y a aussi, pour le Grand rabbin de France, un avant et un après l’accident : « Le Grand rabbin de France de la rentrée 2002 n’est pas le Grand rabbin de France de la rentrée 2001 » ou encore un avant et un après Bnei Brak.
La partie la plus intéressante de l’ouvrage est incontestablement la première, celle où le Grand rabbin se livre, à cœur ouvert, celle où il nous raconte, sans hypocrisie qu’il n’a pas grandi, à Tunis où il est né en 1944, dans une famille très religieuse. Traditionaliste, certes, mais, dans laquelle, le vendredi soir « on était du genre kiddouch-télé ». Tunis, où il célèbrera sa bar-mitsva à la sauvette, car il ne savait pas l’hébreu. Tunis qu’il quittera très jeune car « les turbulences politiques de la Tunisie d’alors » conduiront les Juifs à quitter leur terre ancestrale, mais dont il gardera toujours au plus profond de lui-même un souvenir impérissable.
Tunis, c’était, un père et une mère adorée qui lui transmettront l’amour du judaïsme qui, tout compte fait, imprégnait la vie quotidienne des Sitruk, une famille unie, une vie simple mais heureuse.
On découvre avec étonnement le jeune Joseph Sitruk, amateur de voile et de football, plus scientifique que littéraire, qui débarque à Nice. C’est là qu’il rencontre Danielle Azoulay celle qui va devenir sa femme, c’est-là qu’il s’investit dans les Éclaireurs Israélites-il sera totémisé « Taureau Assis »-, c’est là, surtout, qu’à la demande pressante de sa grand-mère, Yaya, il va commencer à fréquenter la synagogue et, tel Franz Rosenzweig à la veille de sa conversion, à faire téchouva. « J’ai immédiatement eu un électrochoc », avoue le Grand rabbin. C’est à Nice, enfin, qu’il prendra la décision de devenir rabbin.
1964. Après Nice, c’est le temps de Paris, du séminaire de la rue Vauquelin, d’Orsay et de Maïmonide à Boulogne. En Mars 1969, voici le grand tournant avec Bnei Brak, où, détaché des contingences matérielles, on respire un autre air, une vraie ville juive où, le chabbat, toutes les rues sont piétonnes, une ville de yechivot, de sages et d’érudits, une cité de sainteté créée de toutes pièces par le rav Kahanman de Poniewicz. Puis, c’est le passage à Strasbourg, marqué par la perte tragique, en 1971, à l’âge de deux mois, d’un garçonnet malformé, avant Marseille où, pendant treize ans, Joseph Sitruk aura la tache de redonner vie à une communauté éclatée. « Si Strasbourg fut le laboratoire, Marseille a été le champ d’expérimentation », aime à dire le Grand rabbin.
1988. Élection au poste suprême de Grand rabbin de France. La mission est désormais nationale.
La deuxième partie de l’ouvrage est plus philosophique. Le Grand rabbin y développe les thèmes religieux qui lui sont chers : l’âme et le corps, le Bien et le Mal, Jérusalem, avant de consacrer, sous forme de florilège, un chapitre à des thèmes divers : le couple, l’éducation, les extraterrestres, l’humour, Internet, la presse, la Bible, les nouvelles technologies, le téléphone portable ou encore le sport et la télévision qu’il reconnaît avoir banni de sa demeure.
Constamment, le Grand rabbin revient sur son accident de santé, cet accident de décembre 2001, quelques jours après le dîner du CRIF auquel il participe aura été, pour Joseph Sitruk, un moment fondateur : « Je suis passé de l’autre côté du miroir sur la rive, de l’autre côté du fleuve : d’un temps, l’autre ». Même mon nom a changé, raconte le Grand rabbin, devenu, depuis, Yossef Haïm Ben Sim’ha. Après 26 jours de coma, un nouvel homme est né.
Un livre alerte, généreux et sincère.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Bibliophane Collection Un livre, une vie dirigée par David Reinharc. Juin 2006. 288 pages. 23€