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Publié le 2 Mai 2006

Sharon. Un Destin inachevé Par Daniel Haïk (*)

Journaliste israélien, Daniel Haïk est incontestablement l’un des observateurs les plus avertis de l’actualité proche-orientale. La biographie monumentale d’Ariel Sharon qu’il nous propose est rien moins que remarquable. Fouillée, puisée aux meilleures sources, bien documentée, elle retrace par le menu l’histoire extraordinaire de ce fermier « bulldozer » devenu sur le tard « roi d’Israël » et propulsé, par le destin malheureux d’un grave accident de santé qui le plonge depuis plusieurs mois dans un coma profond et alors qu’Israël traverse l’une des périodes les plus délicates de son histoire, au rang de véritable icône du peuple juif.


L’ouvrage est chronologique, ce qui a l’immense avantage, tout en suivant l’odyssée mouvementée d’Ariel Sheinerman, du mochav de Kfar Malal à la plus haute fonction de l’État hébreu, de parcourir l’histoire d’Israël, de ses guerres, de ses victoires, de ses déboires et de ses espérances.
Il était une fois, à Brest-Litovsk, en Biélorussie, un leader de l’Organisation Sioniste Mondiale, Mordehaï Sheinerman dont le fils, Shmuel, digne héritier spirituel de son père, n’envisageait sa vie qu’en terre d’Israël. Avec son épouse Débora Vera, née Schneeroff, ils décident d’émigrer en Eretz Israël, à Kfar Malal, précisément. Nous sommes en 1922. La Palestine compte alors 757 000 âmes dont 673 000 Arabes. Et 83 000 Juifs. Une minorité, mais, d’alya en alya, l’État juif, inéluctablement, est en marche.
En 1926, naît le premier enfant des Sheinerman, Yéhoudit Dita, et, le 26 février 1928, Ariel, jeune sabra, mais « un enfant timide, presque introverti et plutôt asocial, à l’instar de son père ».
Très tôt, le caractère d’Arik se forme. Au mouvement de jeunesse Hassadeh, l’ « élève terne » révèle son caractère : « une extraordinaire aptitude au métier de soldat ». Il ne se sépare jamais de sa matraque et, plus tard de son poignard caucasien. Et, bientôt, de sa mitraillette. Il n’a que treize ans quand il prête serment de fidélité à la Haganah, en posant ses mains sur une bible et sur…un revolver.
En 1948, alors que l’État juif est encore dans les limbes, Ariel Sheinerman, commande sa première opération : il punit un chef bédouin qui collabore avec des terroristes arabes en lui confisquant sa voiture neuve !
En 1950, sur la suggestion, dit-on de David Ben Gourion, les Sheinerman hébraïsent leur patronyme en Sharon, du nom de la région qu’ils habitent.
1951. Le caractère du commandant Sharon se forge. Il a 23 ans et c’est un meneur qui entraîne ses soldats de l’unité 101 qu’il a créée, au cri légendaire de « Aharaï ! », « Suivez-moi ! ». Mais déjà, ce valeureux militaire qui « n’a pas que des qualités », « en fait toujours trop » et « n’hésite pas à prendre quelques libertés avec les ordres de ses supérieurs qu’il interprète à sa manière ».
Cela lui vaudra bien des déboires et des traversées du désert douloureuses à l’armée, où ses ambitions seront barrées par ses contradicteurs et, plus tard, en politique. Un homme, pourtant, un père fondateur d’Israël, Ben Gourion, sera toujours à ses côtés, jouant le rôle d’un véritable bouclier. Quant à Itshak Rabin, son jugement lapidaire résume bien l’esprit qui anime ceux qui côtoient Sharon : « Compter un général comme Sharon au sein de l’état-major est une bénédiction. En compter dix serait une véritable plaie ! ».
Alerte et prenant, l’ouvrage de Daniel Haïk nous décrit la marche tenace d’Ariel Sharon en direction du pouvoir suprême. Une marche ponctuée, hélas, par des tragédies personnelles renouvelées. La mort accidentelle de sa femme, Gali, d’abord, le 2 mai 1962 puis, cinq ans après, celle de leur fils Gour, tué d’un coup de feu lors d’un jeu stupide avec un camarade. En 1999, une blessure à la jambe lors d’un accident de voiture et l’incendie du bâtiment central de sa ferme, puis, en 2003, l’ablation d’une tumeur à la tempe et, en 2004, une opération de calculs rénaux. Enfin, blessure secrète, la rupture avec sa sœur aînée qui vit seule à Manhattan. Sans oublier les nombreux amis proches, morts au champ d’honneur.
Un an après la disparition de Gali, Sharon se remarie avec Lily, la jeune sœur de son épouse décédée, qui lui donnera deux enfants, Omri, né en 1964 et Guilad, né en 1967. La belle Lily, son égérie, son éminence grise, sa plus proche conseillère, qui mourra, emportée par un cancer des poumons, le 25 mars 2000.
Sharon, tel que nous le décrit Daniel Haïk, c’est tout à la fois le militaire valeureux, « Sharon l’Africain », qui, en 1973, saura retourner une situation très problématique en pénétrant en Afrique pour prendre en tenailles la 3ème armée égyptienne et sauver Israël de la défaite, le fermier passionné d’agriculture, régnant dans son ranch, la ferme des Sycomores au milieu de ses moutons et de sa jument préférée, Yardéna, le politicien avisé, et opportuniste, enfin, qui saura créer le Likoud qu’il quittera un jour, le parti Schlomzion qui fusionnera par la suite avec la branche Hérout du Likoud, et qui lancera l’idée d’une formation centriste à l’ israélienne, avec Kadima, renvoyant dos à dos la droite et la gauche de son pays.
« Je puise ma force, disait Sharon, dans ma famille, les champs de ma ferme, les fleurs, ce que Lily a réussi à faire, ma relation étroite avec mes enfants. Jamais cette force ne m’est venue du Likoud et de ses instances ».
Au fil des ans, Ariel Sharon sera ministre de l’Agriculture, ministre de la Défense, ministre sans portefeuille, ministre du Commerce et de l’Industrie, ministre de la Construction et du Logement, ministre des Infrastructures nationales, ministre, enfin, en octobre 1998, à 71 ans, des Affaires étrangères. Le 7 mars 2001, il prêtera serment en tant que Premier ministre.
Des actes fortement symboliques parsèment son parcours : la création et l’évacuation de Yamit dans le Sinaï, l’épopée des Falashas d’Éthiopie, la Guerre du Liban, Sabra et Chatila, l’expulsion d’Arafat et de ses troupes de Beyrouth l’arraisonnement du Karin A , le bombardement de la centrale nucléaire Osirak d’El-Touwita en Irak, l’alya des Juifs de Russie, la visite controversée du Mont du Temple à Jérusalem, le confinement d’Arafat dans la Moukata, les accords signés en 2002 avec les États-Unis, considérés par de nombreux observateurs comme une « seconde Déclaration Balfour », les relations tumultueuses avec la France, le discours aux Nations unies du 15 septembre 2005 et le désengagement de la bande de Gaza.
Laïque mais proche du mouvement Loubavitch, du Conseil des localités juives de Judée-Samarie et du Goush Emounim, Sharon aura montré, dit Haïk, « qu’il ne craint pas les alliances contre-nature en politique ». Quant à ses relations orageuses mais obligées avec Bibi Netanyahou, il s’agissait, selon la presse israélienne, du « roman d’amour entre deux hérissons ».
Mieux que tout autre, son ami, le journaliste Uri Dan, résume la destinée de Sharon : « Celui qui n’a pas voulu de Sharon comme chef d’état-major l’aura eu ensuite comme ministre de la Défense et celui qui n’en a pas voulu comme ministre de la Défense le retrouvera Premier ministre.
La tendresse incontestable que l’auteur éprouve pour le personnage hors du commun dont il nous livre un portrait éloquent, n’empêche pas la critique, parfois, de ce « trublion perpétuel », « l’incorrigible Sharon », le « turbulent général », le « ministre rebelle » au « comportement cabochard », mais qui, selon l’étonnante expression de Daniel Haïk, que l’on retrouve souvent dans son livre, aura su tirer, avec brio et réussite, « la carriole d’Israël » vers l’avant.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions de L’Archipel. Février 2006. 506 pages. 22,95€