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Publié le 24 Avril 2007

Sur le chemin de Jérusalem Par Michaël de Saint-Chéron (*)

Le parcours personnel de Michaël de Saint-Cheron est pour le moins étonnant. On le savait proche d’Élie Wiesel, on connaissait ses liens avec Emmanuel Levinas. Collaborateur de plusieurs médias juifs, notamment, en son temps de Tribune Juive, il ne faisait aucun doute pour ses amis et ses collègues qu’il était juif, mais son patronyme intriguait. On pressentait quelque chose de caché, d’étrange. D’autant plus qu’il avait épousé une coréenne…catholique. Et voilà qu’après de nombreuses études savantes sur les grands penseurs juifs, qu’après des ouvrages érudits d’une grande qualité, Michaël de Saint-Cheron se dévoile, met à nu sa personnalité la plus secrète, son moi jusqu’ici enfoui au fond de lui. Cela nous donne une émouvante autobiographie. Au fil de la lecture de ce beau texte, un nom s’impose peu à peu à l’esprit, celui du célèbre auteur de L’Étoile de la Rédemption, Franz Rosenzweig. On s’en souvient, c’était à Berlin, en 1913. Rosenzweig a 27 ans. Juif agnostique et fortement assimilé, il est sur le point de céder aux arguments de son cousin, Eugen Rosenstock et d’embrasser le christianisme. Mais, au moment de franchir le Rubicon, un doute s’empare de son esprit : « Puis-je quitter le judaïsme sans y avoir goûté une seule fois ? ». Avant de rejoindre l’église pour y recevoir le baptême, il décide de passer par la synagogue. Histoire de ne pas avoir de regrets. Il pénètre dans l’édifice alors que la communauté, recueillie, célèbre le Yom Kippour. Et là, tout bascule. Ému, ébranlé même, par la ferveur et la joie des hommes en prière, par la beauté des chants et par la solennité d’un rite dont il ignorait tout, il est véritablement électrisé. C’est décidé, Juif il est né, Juif il restera. À l’un de ses cousins qui devait être son parrain, il écrit : « Je vais te décevoir : je reste juif. Peut-être le christianisme, la Demeure du Fils, doit-il permettre à chaque homme d’entrer dans la Demeure du Père et son caractère missionnaire est-il universellement justifié-sauf pour le Juif, car le Juif n’a nul besoin du Fils pour trouver le Père : de par sa naissance même, son histoire, son existence, il est à demeure dans la Demeure du Père ».


On pense également à Aimé Pallière, Lyonnais catholique, très tôt destiné à la prêtrise et qui, lui aussi un jour de Kippour, est littéralement subjugué par ce qu’il découvre dans la synagogue de sa ville, cherche à se convertir et finit par suivre les conseils du Grand rabbin italien Élie Bénamozegh, qui lui explique qu’on peut, sans se convertir, être simplement un « noachide ».
C’est une destinée tout à fait semblable à celle du grand maître allemand et du « guer tochav » lyonnais qu’a connue Michaël de Saint-Chéron. Né en 1955, à Paris, il est le fils d’une juive bruxelloise et d’un aristocrate catholique champenois, Jean de Saint-Cheron. En premières noces, sa mère, Françoise, nièce d’André Baur qui présida l’U.G.I.F. aux heures sombres de l’Occupation et qui fut assassiné avec sa famille à Auschwitz, avait épousé un industriel juif, Claude Amson dont elle aura deux enfants. Et c’est ce même Claude Amson, qui, ironie de l’Histoire, portera, en tant que parrain, le petit Michaël sur les fonts baptismaux de la chrétienté.
Michaël de Saint-Cheron va mettre vingt-sept ans avant de réaliser qu’il est juif de naissance et d’entreprendre une véritable téchouva. Entre-temps, d’abbayes en monastères et d’églises en temples, de Solesmes à Czestachova en passant par Hautecombe, le jeune homme, poussé par une foi profonde et une quête de spiritualité qui envahit toute son âme, envisage d’entrer dans les Ordres et de consacrer sa vie au Christ. C’est la rencontre avec une jeune femme, une musicienne coréenne, Séréna Ok-Wha, qui va bouleverser tous ses plans. « Dès les premiers mots avec elle, je sens la foudre me frapper » avoue de Saint-Cheron. L’amour humain triomphe sur celui du Christ. Michaël épouse Séréna qui lui donnera deux filles, Deborah et Sarah. Avec Séréna, il ira à la rencontre du bouddhisme de la Corée du Sud et, plus tard de l’hindouisme des Indes. Et c’est cet humaniste, pétri de chants grégoriens, de Yin, de Yang et de Qi, qui, un jour de Yom Kippour, en septembre 1982, pénètre dans la synagogue de la rue Montevideo. Comme Rosenzweig, 70 ans plus tôt, et comme Aimé Pallière, il est subjugué « Non, ce n’est pas un peuple fossile qui est là devant moi, debout, c’est un peuple ressuscité, en prière qui m’apparaît ». « Loin du monde bénédictin et franciscain, je reçois en plein cœur la révélation du peuple juif ». Juif de naissance, Michaël n’a pas à se convertir. Il normalise sa situation en décembre 1983 en se faisant circoncire. Il a vingt-huit ans. Son « chemin de Jérusalem » fourmille d’anecdotes et de portraits de personnages touchants : Emmanuel Levinas et Élie Wiesel, ses maîtres, le père Kolb, Édith Stein ou encore l’extraordinaire Aimé Pallière. Un témoignage exceptionnel.
Jean-Pierre Allali
Éditions Parole et Silence. Novembre 2006. 170 pages. 17€