Si 76% des Juifs vivant en France ont survécu alors que 44% de ceux qui se trouvaient en Belgique et 71% de ceux qui vivaient aux Pays-Bas ont péri, c’est qu’il y a des explications. De même lorsque l’on constate que 86% des enfants juifs survécurent en France, alors qu’ils ne furent que 65% en Belgique et 12,5% aux Pays-Bas.
Dans un tout autre domaine, s’il est vrai que les Juifs danois ont été, dans leur grande majorité, sauvés par un transfert maritime en Suède, il n’en est pas moins vrai que le « modèle danois » n’a pas été aussi honorable qu’on le prétend en général.
Dans la recherche des causes de la différence chiffrée des rescapés, l’analyse de l’antisémitisme latent qui prévalait en Europe occidentale est une donnée essentielle. L’auteur rappelle, par exemple, que le NSB, parti national-socialiste des Pays-Bas, comptait plus de 100 000 membres avant la Guerre. Dès lors, la création d’une SS néerlandaise forte de 4000 hommes et de 4000 sympathisants va constituer un réseau dense de traqueurs de Juifs. En Belgique, le parti de Léon Degrelle, les rexistes, a obtenu 11,5% des suffrages aux élections de 1936 s’assurant la présence de 21 députés au parlement. En France, l’Action française, si elle n’a pas de représentants élus, dispose d’une presse très incisive qui tire à 1 200 000 exemplaires.
Le rôle des administrations et de la police est passé au crible. Celui des militaires, aussi, qui selon Charguéraud, ont parfois joué un rôle « modérateur », freinant les mesures antijuives. Celui de l’Église catholique qui mettra longtemps, trop longtemps à réagir. Le rôle, terrible, enfin, joué par les Conseils juifs, les Judenräte, est analysé également. Le RoodscheRaad (RD) aux Pays-Bas, l’Association des Juifs de Belgique (AJB) et l’Union Générale des Israélites de France (UGIF). L’auteur met en lumière l’aveuglement de certains dirigeants de nationalité française qui espéraient que les mesures prises contre les étrangers mettraient à l’abri les Juifs français de souche. Une illusion.Toutefois, comme le rappelle Serge Klarfeld, il faut avoir une vue d’ensemble et remarquer que « Au total l’UGIF a aidé plus de Juifs à préserver leur liberté et leur vie qu’elle n’en a contribué à en conduire à Drancy ».
Les pages les plus intéressantes et les plus originales concernent incontestablement le Danemark. Car si seulement 475 Juifs danois sur une population de 7800 âmes, furent déportés à Theresienstadt où ils furent autorisés à recevoir des colis et ne connurent pas les camps de la mort, on ne saurait oublier que la collaboration économique des Danois avec le régime nazi fut complète. Vendues à crédit, les marchandises danoises, notamment dans les domaines agricoles et alimentaires, en direction de l’Allemagne affluèrent au point que ces exportations firent plus que doubler entre 1942 et 1944.La viande, le porc et le beurre danois assuraient leurs rations à 3,6 millions d’Allemands en 1942, à 4,6 millions en 1943 et à 8,4 millions en 1944. « En novembre 1944, Berlin devait 1390 millions de marks au Danemark et seulement 650 millions à la Suisses ».
Le courage des Danois ne peut cependant pas être passé sous silence. Lorsque le 17 septembre 1943, la police allemande arrête le Grand rabbin Max Frediger et le président de la communauté Axel Margolinski, lorsque les rafles s’abattent sur les Juifs danois, le roi Christian IX proteste avec énergie. De son côté, le Conseil danois de la Liberté qui regroupe les principaux mouvements de résistance « condamne le pogrome ». Le 3 octobre, une lettre pastorale des évêques danois déclarant que « la persécution va à l’encontre des Évangiles » est lue dans les églises. Très vite, on l’a dit, le transfert par bateaux des Juifs danois vers la Suède est organisé.
Cet ouvrage, bien documenté, est le troisième et dernier volet d’une trilogie commencée en 1998 avec Tous coupables. Les démocraties occidentales et les communautés religieuses face à la détresse juive, 1933-1940 et poursuivie, en 2001, avec Silences meurtriers. Les Alliés, les Neutres et l’Holocauste, 1940-1945.
Des tableaux chiffrés parsèment l’ouvrage qui a d’ailleurs une propension évidente aux calculs et à la statistique, toujours très parlants. Intéressant.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions du Cerf/Labor et Fidès. Mars 2006. 344 pages. 25€