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Publié le 5 Mars 2009

TALMUD, une enquête dans un monde très secret, par Pierre-Henry Salfati (*)

Disons-le tout de go : ce livre mérite d’avoir autant de succès que le désormais fameux « Da Vinci Code ». Il est tout simplement époustouflant ! Jamais un ouvrage sur un sujet aussi sérieux que le Talmud, qui, avec la Thora constitue la base de la foi juive, n’avait, à notre connaissance, pris ce côté haletant de thriller que nous offre, avec talent, Pierre-Henry Salfati.



Même le prologue, bâti sur la désormais classique histoire des ramoneurs avec la question : « Deux ramoneurs sortent d’une cheminée ; l’un en sort tout noir et l’autre tout blanc ; lequel des deux va se laver ? », est présenté d’une manière inédite, avec des rebondissements inattendus et des méandres encore jamais explorés (1).
Grâce à son entregent et aux nombreuses connaissances qu’il a pu se faire lorsqu’il était lui-même étudiant en yéchiva à Brunoy dans l’Essonne, l’auteur se voit ouvrir toutes les portes, à travers le monde entier, dans un milieu pourtant réputé pour sa fermeture. Cela nous vaut un voyage mirobolant dans les coins les plus inattendus de la planète. Nous voici, tout d’abord, à Jérusalem, à Mea Chéarim, dans ce quartier rebelle réfractaire tout à la fois au sionisme et au modernisme, sans Internet, sans télévision et sans radio et qui vit à l’heure talmudique, « chaot zmaniot » qui diffère légèrement de l’heure officielle israélienne. Si, au premier abord, tous les hommes « noirs » se ressemblent, l’œil aguerri du spécialiste a tôt fait de distinguer les hassidim de Slonim des Neturei Karta et ceux de Belz de ceux de Gour, de Karlin ou de Satmar. Et les misnadgim ne sont pas les hassidim, disciples du Baal Chem Tov. « Il faut, nous dit Salfati, l’acuité d’un ornithologue doublé de la patience d’un entomologiste, pour faire la différence entre les divers groupes ». Nous voici au heder de Toldos Aharon puis, plus tard, à la yéchiva de Mir, fondée en 1815 en Pologne et qui, après un exil à Kobe, au Japon, puis à Shanghai, pendant la Seconde Guerre mondiale, a établi ses pénates à Jérusalem et à Brooklyn. Partout, l’étonnement devant ces êtres étranges qui semblent tout droit sortis d’une autre planète, d’un autre temps.
À propos, qui s’est jamais posé la question de savoir où et comment se fabrique le Talmud ? Est-il nécessaire de connaître l’hébreu et d’être profondément religieux et pratiquant pour être un ouvrier du Talmud ? Aliocha, un Russe, ancien chauffeur de bus à Moscou est l’un des soixante ouvriers d’une imprimerie productrice de Talmuds. À la question « Qu’est-ce que le Talmud pour vous ? », sa réponse sincère est sans ambages : « Un gagne-pain ». Sait-il de quoi il s’agit, ce que représente ce livre qu’il contribue à fabriquer en tant que presseur de lettres dorées. Pas vraiment. Il croît savoir que c’est quelque chose de très compliqué. Au passage, une réflexion de l’auteur : les étudiants de la yéchiva se sont-ils un jour posé la question de savoir où sont fabriqués les livres auxquels ils consacrent l’essentiel de leur vie ? Probablement non car il y a un fossé entre les imprimeurs que n’intéresse nullement l’usage qui sera fait de leurs produits et les utilisateurs qui ont d’autres sujets de réflexion que celui de savoir si la température des ateliers de fabrication est aux normes en vigueur.
Où finissent les livres pieux usagés, les pages déchirées, les couvertures détachées et abîmées. Bien sûr, dans une guéniza, un « tombeau de livres ». Mais avez-vous déjà visité un tel lieu ? Le livre de Pierre-Henry Salfati nous donne l’occasion de suivre un enterrement de livres en Galilée. C’est tout bonnement hallucinant : « Un petit cortège : deux voitures de tête ouvrent la marche. Amarrés à elle, deux tombereaux emplis de livres usés, et notre petit groupe de curieux, qui suit à pied à travers la campagne sur un chemin de terre en direction de la tombe où déjà des milliers de livres anciens finissent de ne plus être ».
Est-il permis à un vieux rabbin atteint de surdité de ramasser le sonotone qui s’est détaché malencontreusement de son oreille un samedi ? Ce n’est pas un débat talmudique comme celui des ramoneurs, mais une histoire vraie à laquelle l’auteur assiste à Crown Heights sur Kingston Avenue. Les débats théologiques entre le vieillard et son petit-fils qui l’accompagne, pour savoir s’il faut ou non se pencher, récupérer l’objet et le remettre à sa place, valent le détour. C’est aussi cela le Talmud.
À Borough Park, véritable shtetl anachronique et désuet au cœur de New York, les petites boutiques juives et les restaurants « glatt kosher » se succèdent sans discontinuer. C’est là que la dynastie de Gour dirigée aujourd’hui par Rab Mordekhai s’est fixée.
New York. 1er mars 2005. Le Madison Square Garden est entièrement réservé à la clôture du onzième cycle du Daf Yomi, une fête qui n’a lieu qu’une fois tous les sept ans et demi pour célébrer la fin de la lecture, à raison d’une page par jour, de l’ensemble du texte talmudique. 2711 pages, 2711 jours. 7 ans et demi. Dehors les milliers de supporters du basket, du hockey et autres pratiques impies ! Les 19763 sièges officiellement répertoriés laissent le champ libre à 45000 chapeaux et barbes soit 90000 payes pour ce véritable jamboree du Talmud.
Le voyage étonnant et savoureux auquel nous convie Pierre-Henry Salfati, c’est aussi le wagon-yéchiva de Pessah Lerner, les faux manuscrits et les légendes royales, un milliardaire qui loue un gratte-ciel dédié à l’étude et bien d’autres récits aussi palpitants qu’étranges.
Un cahier-photos et un glossaire complètent ce livre remarquable. À lire absolument.



Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Albin Michel/Arte Éditions. Janvier 2009. 288 pages. 19,50 euros
(1) Voir, sur la même « histoire », l’ouvrage de Marc-Alain Ouaknin : « Invitation au Talmud ».