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Publié le 26 Octobre 2009

Tel-Aviv Sans répit, par Ami Bouganim (*)

En 2009, Tel-Aviv fête ses cent ans. Tel-Aviv, la Colline de Printemps, ville témoin de la pérennité de l’aventure sioniste du retour du peuple juif sur sa terre ancestrale. Et aujourd’hui, comme hier, les Arabes en général et les Palestiniens en particulier, ne comprennent pas cet attachement et ne réalisent pas que plus ils persistent dans leur déni de reconnaissance, plus Israël se renforce en inventant des solutions originales pour faire face au défi du rejet perpétuel des populations voisines. En effet, nous raconte Ami Bouganim, en préambule de son agréable ouvrage, en 1988, les émeutes palestiniennes avaient dissuadé les touristes étrangers de visiter la cité. Quant aux Israéliens, peu à peu, ils optèrent pour un repli dans leur cocon familial. La nuit tombée, les rues se vidaient, « les bars béaient d’ennui , les hôtels éteignaient leurs lustres ». Les boîtes de nuit se morfondaient, les sites attractifs laissés à l’abandon et les avenues négligées. Et, tout à coup, la réaction. Il fallait faire quelque chose. Pour arracher Tel-Aviv à sa torpeur née de l’insécurité due au terrorisme, on inventa un concept : faire de Tel-Aviv, une « ville sans interruption ». « Très vite, les noceurs se sont réveillés. Les vacanciers d’un jour ont suivi. Puis les jeunes qui ne tenaient pas à perdre un instant de leur jeunesse ». Au grand dam des terroristes qui croyaient faire fuir les Juifs de leur mégapole tirée des sables et du désert, « depuis le milieu des années 1990, Tel-Aviv ne s’arrête plus, ni de jour ni de nuit… ».



Pour parler de cette ville aux multiples facettes, Ami Bouganim qu’on connaissait jusqu’ici pour ses monographies de personnages célèbres (1) a choisi d’interroger des amoureux de la ville, militants, artistes, fêtards, journalistes, poètes, rabbins, avocats et même un pêcheur arabe.



Désormais, Tel-Aviv « n’est pas une ville comme les autres, c’est un merveilleux bouge qui attend sa consécration universelle par un guide béni ou son dénigrement universel par un poète maudit… ». Pour nous présenter Tel-Aviv, pour nous faire toucher du doigt ce que ressentent au quotidien les amoureux de cette mégapole qui est « le cimetière de l’ancien Juif et le berceau de l’Hébreu nouveau » une « ville de Babel où l’on se parle sans se comprendre parce que chacun habite un rêve et que les rêveurs ne communiquent pas entre eux », Ami Bouganim a choisi d’interroger des hommes et des femmes qui y vivent. Tous les personnages présentés sont truculents, exotiques à souhait.



Ainsi Nathan Zahavi, « le nerveux de Tel-Aviv », « l’homme anti-ostentation et anti-entorse », animateur de radio, « un grincheux, un enragé, une revêche », partisan en son temps des « Panthères noires » et soupçonné, à l’époque, d’être un espion soviétique. Ainsi aussi Alon Garbaz, directeur de la cinémathèque de Tel-Aviv qui se désole que la ville ne se soit pas encore donné de festival international. Voici l’étonnante Michal Rovner, une sculptrice qui habite un champ entre Tel-Aviv et Jérusalem, New York et Paris, Venise et Tokyo, un véritable parc zoologique où foisonnent serpents et lézards. Voici encore le musicien Ilan Volkov, fondateur de la salle « Levantin 7 », haut lieu du jazz, du pop , du rock et de la musique classique, fils d’un musicien russe et d’une « aristocrate » sabra, « une de ces créatures étranges dont le génie se cherche intensément une voie originale pour s’exprimer ». Et Orna Néner, rédactrice en chef du magazine féminin La-Icha, pour laquelle « Tel-Aviv est l’un des pots-pourris des traits et des allures parmi les plus passionnants du monde », Ruth Calderon, la pasionaria du judaïsme, Shula Keshet, artiste et fondatrice de l’association féministe « Ahoti », Elimelekh Firer, véritable « Abbé Pierre juif » qui se consacre à l’aide aux malades les plus démunis, la truculente et imposante Mariuma, alias Miryam Ben Yossef, fondatrice de la maison d’accueil du Shanti, une sorte d’auberge libre ouverte à la détresse. Et tant d’autres encore, en tout, vingt-cinq figures incroyables qui ont en commun l’amour de Tel-Aviv qu’ils parcourent et investissent au quotidien.



Bizarrement, l’auteur masculinise la ville et dit toujours « Il » en parlant de Tel-Aviv alors qu’on aurait naturellement tendance à dire : « Tel-Aviv est belle » plutôt que « Il est une plaque tournante ». On sera étonné aussi de voir, à plusieurs reprises, Ami Bouganim évoquer la colonisation. Aujourd’hui, on le sait, ce mot est très péjorativement connoté alors que dans l’esprit de celui qui l’emploie, il s’agit d’évoquer la mise en valeur des terres et non l’exploitation outrancière d’une population autochtone. Enfin, certains regretteront que l’auteur ait sélectionné des intervenants classés plutôt à gauche ou à l’extrême gauche, ce qui laisse à penser, faussement bien sûr , que les gens du centre ou de la droite manquent d’humour, de saveur et de savoir-vivre. Dommage !



Reste un ouvrage incontestablement sympathique, rafraîchissant et, surtout, plein d’espoir. À découvrir !



Jean-Pierre Allali
Photo : D.R.



(*) Éditions Autrement. Publié avec le soutien du Service de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de France en Israël. Photographies de Moti Milrod. Février 2009. 350 pages. 23 euros.
(1) Notamment « Walter Benjamin. Le rêve de vivre » Voir notre recension de cet ouvrage en date du 02-01-2008