Ainsi, Carole da Silva, fondatrice et présidente de l’AFIP (Association pour favoriser l’intégration professionnelle), s’insurge : « Il faut appeler un chat un chat. Je suis une femme noire et non une « femme de couleur ». M’identifier telle que je suis est une marque de reconnaissance et de respect. Il n’y a aucune raison d’avoir de la compassion et de la gêne à mon égard ».
Et pour en revenir au thème central de l’ouvrage, la discrimination, qu’est-ce que c’est ? Le Petit Larousse vient à notre secours qui propose : « Action d’isoler et de traiter différemment certains individus ou un groupe entier par rapport aux autres ». Dès lors, on réalise que les critères pouvant entraîner une attitude discriminatoire peuvent être nombreux et divers : le sexe, l’âge, le handicap, l’orientation sexuelle, l’origine ethnique et ce dans les domaines les plus variés : l’emploi, le logement, la politique, les loisirs…
L’ouvrage de Keslassy et Véron est divisé en trois grandes parties significatives : hier, aujourd’hui, demain.
« Hier » nous permet de remonter à 1789 avec l’entrée de la France dans la modernité. L’Ancien régime avec ses trois ordres, le clergé, la noblesse et le tiers-état laisse la place à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Les femmes, il est vrai, sont un peu laissées sur la touche. Puis vient, en 1804, Napoléon avec son Code civil. Plus tard, la première moitié du vingtième siècle est marquée par des hésitations et des dérives. En 1930, l’antisémitisme qui sommeillait depuis l’affaire Dreyfus, se réveille brutalement. Le 3 octobre 1940, inspiré directement par l’idéologie nazie, l’État français promulgue le « Statut des Juifs ». C’est le temps de Vichy, de sinistre mémoire, et du Commissariat général aux questions juives. L’après-Guerre voit quelques avancées significatives : le droit de vote est accordé aux femmes le 21 avril 1944. Mais il faudra attendre l’adoption de la loi sur la parité, le 6 juin 2000 pour voir la représentation féminine dans les grandes instances politiques, s’améliorer.
Des dates clés résument la longue marche vers l’égalité réelle : en 2001 la loi sur l’égalité professionnelle homme/femme, en 2004, la création de la HALDE (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité), en 2005, la loi « Handicap ».
« Aujourd’hui », c’est le temps où les discriminations sont unanimement condamnées mais où, dans la réalité, chacun renvoie la balle à l’autre. « Je ne veux pas prendre de risque », dira l’un et « Ce n’est pas moi, c’est le client », dira l’autre. Le poids des stéréotypes et des préjugés est particulièrement fort. Pour l’historien Benjamin Stora, l’identité du pays est construite sur le « mépris des hommes du Sud ».
Dès lors se pose une question essentielle : comment mesurer les discriminations ? C’est là qu’intervient le concept controversé de « comptabilité ethnique ». Or, en France, l’article 31 de la loi Informatique et Liberté est très clair. Il précise qu’ « Il est interdit de mettre ou conserver en mémoire informatique, sauf accord exprès de l’intéressé, des données nominatives qui, directement ou indirectement, font apparaître les origines raciales ou les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou les appartenances syndicales ou les « mœurs » des personnes ». C’est la quadrature du cercle pour ceux qui voudraient disposer d’un outil statistique scientifique et fiable comme moyen de lutte contre la discrimination. Michèle Tribalat, de l’INED (Institut National des Études Démographiques) explique : « Les employeurs devraient être en mesure de connaître leur situation afin d’évaluer leurs pratiques et de les améliorer. Des statistiques régulières sur le comportement de leur personnel pourraient les y aider ». Et elle ajoute : « Les statistiques sont indispensables à la connaissance de la réalité ».
Dans le camp des opposants farouches à cette comptabilité ethnique, on trouve Jacqueline Costa-Lacoux, directrice de l’Observatoire Statistique de l’Immigration et de l’Intégration. Pour elle, « partir de catégories de population à raison de leur origine ethnique semble aussi archaïque qu’illusoire ». Les éventuels effets pervers sont mis en avant et les aberrations les plus folles risquent de voir le jour. Ces opposants préfèrent se contenter de méthodes moins scientifiques comme le testing en boîte de nuit ou à l’embauche. Le débat, très actuel, reste ouvert.
Et demain ? Vers quoi s’achemine-t-on ? L’apport européen est mis en avant et l’idée de discrimination positive, soutenue notamment par Nicolas Sarkozy, fait son chemin. La question du CV anonyme est également abordée.
Un ouvrage instructif qui donne à réfléchir.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Le Cavalier Bleu. Octobre 2006. 160 pages. 20€. Préface de Louis Schweitzer