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Publié le 29 Janvier 2008

Un brin de jasmin fane Par Paul Cohen (*)

Nostalgie, nostalgie. Décidément, les Juifs de Tunisie, un demi-siècle après l’exil ont toujours le mal du pays, ce qu’ils appellent l’ « ouarche », une forme de spleen caractéristique des originaires du pays du jasmin.


Biochimiste et biologiste de renommée internationale, Paul Cohen, dont les travaux sur les hormones, les protéines et les facteurs de croissance font autorité, abandonne, une fois n’est pas coutume, ses microscopes et ses éprouvettes pour nous raconter, dans un opuscule aux paragraphes souvent un peu brefs, « sa » Tunisie.
Le retour au pays natal est l’occasion d’une plongée dans le temps jadis. Paul Cohen se souvient de l’Occupation allemande de la Régence, six mois sous la botte, son propre logement occupé par les forces de l’Axe, les amendes imposées à la communauté juive, le travail obligatoire. Au lycée Carnot, dont l’administration a conservé les dossiers des élèves inscrits dans les années quarante et cinquante, l’auteur retrouve la trace de ses amis d’enfance. Des classes composées en majorités de jeunes Juifs, les Musulmans se retrouvant souvent en classes de TU, réservées aux élèves tunisiens désireux d’apprendre l’arabe. A La Goulette, Bichi, le roi du poisson grillé et du « complet » n’a plus les fastes d’antan. Dans le dispensaire de l’OSE, quelques vieux Juifs, souvent grabataires, oubliés de tous, meurent peu à peu en silence. Au large du lac Bahira, l’îlot Chickli, émerge, immuable. L’avenue Gambetta arbore ses palmiers, les souks sont toujours aussi animés et la mosquée Es Zitouna domine les ruelles étroites. A Salammbô et au Kram comme à Sidi Bou Saïd, les Juifs, omniprésents à l’époque, ont disparu. Reste le souvenir des beignets au miel brûlants d’huile chaude accompagnés de jus de feuilles de figuiers de Barbarie.
Tunis, dans les années cinquante. « Ya Khasra ». Les Juifs étaient séparés en deux castes qui hésitèrent longtemps à se fréquenter, les « Touansas », indigènes arabisés et les « Granas », Livournais hispano-portugais fortement européanisés.
Qui ne garde pas en mémoire les pâtisseries succulentes de « Chez les Nègres » ?
L’auteur nous convie à une visite émouvante de la ville, du Passage au Belvédère en passant par la place Jeanne d’Arc au charme désuet d’un quartier d’une ville française bien catholique. Tunis, c’était encore les Jeunesses Musicales et les cinémas, les kémias, pas très casher, de chez Eugène. Tout un monde aujourd’hui disparu.
On regrettera que l’auteur ne développe pas plus les sujets qu’il aborde, qu’il ne donne pas d’indications sur la vie communautaire pourtant très riche, qu’il ne s’attarde pas sur les fêtes juives, sur la vie du petit peuple dans la Hara. Les raisons du départ ne sont pas expliquées. Le décret annulant l’existence légale de la communauté, celui abrogeant les tribunaux rabbiniques, la transformation du cimetière juif en jardin public, l’incendie de la Grande synagogue, la destruction du quartier juif et de sa belle synagogue de la Hara au motif de salubrité publique. Dommage car, l’ouvrage y aurait gagné. Reste un livre pétillant et nostalgique qui ravira les Tunes de France et de Navarre.
Jean-Pierre Allali
(*) Editions L’Harmattan. Octobre 2007. 136 pages. 12, 50 euros