C’est l’histoire d’une vie, celle d’un couple, Chochana, Choch pour les intimes et Charles qui, selon les propres termes de l’éditeur, « apparaît comme un prince instable qui échappe à tous les vertiges de la narratrice : quand elle croît qu’il va enfin se fixer, il lui renvoie les mille fragments de sa complexité d’homme violent mais habité par un désir d’éternité à rebours de celui que Chochana Meyer comprend, qui par l’intelligibilité qu’elle en cultive, qui par la somme des lois que son milieu lui a inculquées ».
Ce milieu, précisément, c’est celui de Juifs marocains arrivés en Israël, venant du Maroc dans les années soixante et qui, après des mois de maabarot dans les villages de tentes, se sont fixés à Ashdod, un port méditerranéen de quatre-vingt-dix mille habitants, au sud de Tel-Aviv. Un petit monde chaleureux, un couple et ses huit enfants, entourant avec affection l’oncle David, la tante Sarah et l’aïeule, Lala Hazane et passant son temps entre le travail, les études et la plage Miami.
Entourée de ses amies Annate et Dina, Chochana, ce fameux jour, aurait mieux fait de ses casser une jambe que de rencontrer Charles pontifiant au volent de sa Vespa.
Car ce Charles va non seulement perturber la jeune fille jusqu’ici baignée de certitudes tranquilles, mais il va littéralement lui pourrir la vie au fil des ans.
Lors d’une excursion prémonitoire à Eilat, Charles et ses amis, alors qu’on est en période de Pessah, la Pâque juive, prennent un malin plaisir à se goinfrer de pain et de « blanc », à savoir du porc. Plus tard, lorsque Charles et son frère cadet, Judas, décident d’aller vivre en France, Chochana sait déjà qu’elle finira, elle aussi, par céder aux sirènes du départ. Il aura lieu après un mariage en août 1977.
Paris. Deux pièces exiguës au sixième étage. « Nous formions un ménage à trois…dans vingt-quatre mètres carrés ».
Naîtrons successivement deux filles, Gaëlle et Sarah et un garçon, Itzik. Charles tient un magasin de prêt-à-porter. Il accepte du bout des lèvres une forme de kashrout à la maison. Bref, une famille banale qui aurait pu vivre une vie banale et sans histoires.
C’était sans compter sur la véritable folie de Charles qui va passer par des étapes « spirituelles » successives complètement déroutantes et déstabilisantes pour Chochana et ses enfants.
Il commence par tomber sous la coupe de rabbi Moshé, un prétendu kabbaliste. Charles suit ses cours de Torah, n’a plus que le mot « Dieu » à la bouche et se ruine en versant des dons extravagants à son gourou, lequel d’ailleurs, se retrouvera en prison. En déprime, Chochana fait une tentative de suicide aux barbituriques. Séparation, réintégration, séparation…
Et voici qu’un jour, Charles se met à invoquer à tous bouts de champs la Vierge Marie ! Désormais, ayant troqué les standards de Léonard Cohen et des Beatles pour les Psaumes, il fréquente les « Juifs pour Jésus » et n’a de pensée que pour Edgar Cayce, mort au début du XXème siècle dont il collectionne les ouvrages, cherchant à convertir l’ensemble de la maisonnée à ses vues : « Je suis juif, affirme-t-il, mais aussi chrétien. Je suis né juif, je crois en la Torah écrite, mais non en la Torah orale, et je sais que Jésus est Dieu et notre messie ». « Nos enfants étaient traumatisés ; s’ils considéraient que leur père divaguait, ils n’entendaient pas marchander leur respect et s’abstenaient ainsi de tout reproche ».
Désespérée, Chochana, qui est affectée d’une pelade psychosomatique, consulte un grand rabbin et un médium. Elle pèlerine en Israël sur les tombes de Rabbi Chimon bar-Yohaï et Rabbi Méir Baal-Haness.
Rien n’y fait. C’est le divorce. Ce qui n’empêche pas Charles de vivre sous le toit familial. Pire : il bat son ex-épouse : un scanner fait apparaître un traumatisme crânien. Dans la foulée, il impose un sapin à la maison pour fêter Noël. C’est le bouquet presque final ! Le 9 mai 2001 le couple passe à l’émission « Ca se discute » de Jean-Luc Delarue. L’occasion de faire la connaissance du père Bernard, curé-danseur de salsa. Ca ne s’invente pas !
Une histoire vraiment incroyable. Une expression italienne appropriée dit « Sè non é vero é ben trovato » : « A défaut d’être vrai, c’est bien ficelé ». Le lecteur jugera.
N.B. : Un glossaire est proposé en fin d’ouvrage qui laisse perplexe. La bkeilla, bien connue des Juifs tunisiens y est présentée comme une pâtisserie orientale. Une vraie chakchouka !
Jean-Pierre Allali
(*) Avant-propos de Daniel Cohen. Editions Orizons. Février 2008. 244 pages. 21 euros.