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Publié le 15 Mars 2010

Une éducation (*)

Adapté d’un récit autobiographique de la journaliste britannique Lynn Barber par le scénariste et romancier Nick Hornby, c’est un véritable roman d’apprentissage que nous offre la réalisatrice danoise Lone Scherfig. Nous sommes en 1961, dans la banlieue huppée de Londres et la vie de la jeune et délicieuse Jenny (Carey Mulligan), seize ans, devrait, en toute logique, suivre le cours tracé par son père, Jack Miller (Alfred Molina) : apprendre à bien jouer du violoncelle et préparer avec sérieux le concours d’entrée à l’université prestigieuse d’Oxford. Mais, comme dans la chanson de Georges Brassens, il suffira d’un bel orage pour qu’un coin de parapluie se transforme, du moins provisoirement, en coin de paradis. De retour de son cours de musique, surprise par une pluie battante, Jenny se voit proposer une place en voiture, une somptueuse « Bristol », par David Goldman (Peter Sarsgaard), la trentaine bien sonnée. Et c’est là que petit à petit, la vie de l’adolescente va basculer. Loin de son avaricieux père qui chipote le moindre penny et de sa mère, Marjorie (Cara Seymour), brave et dévouée mais un peu perdue face aux désirs et aux préoccupations de la jeunesse londonienne des années soixante, Jenny, admirablement interprétée par Carey Mulligan qui, au moment du tournage, a 25 ans, mais réussit à en paraître dix de moins, va céder à la tentation d’une relation amoureuse avec un homme deux fois plus âgée qu’elle.




Séducteur, David saura convaincre Jack et Marjorie de lui confier leur fille pour des sorties de plus en plus élaborées jusqu’à un voyage à Paris, le rêve de toute jeune fille anglaise de bonne famille.



En compagnie d’un couple d’amis, Danny (Dominic Cooper) et Helen (Rosamund Pike), Jenny, littéralement initiée par David, va connaître la vie facile des boîtes de nuit, des concerts mondains, des vêtements luxueux, des ventes aux enchères où les millions ne comptent pas et des demeures somptueuses dans les beaux quartiers. Jenny va faire l’admiration béate de ses congénères du lycée, telles Tina (Ellie Kendrick) et Hattie (Amanda Fairbank Hynes) , le désespoir de son petit copain Graham (Matthew Beard) et la stupéfaction de son professeur, Miss Stubbs (Olivia Williams) comme de la directrice de l’établissement qu’elle fréquente, Miss Walters (Emma Thompson). Adieu Oxford et… vive la vie.



Hélas, on s’en doute, il y a un hic. David n’est pas en réalité le généreux mécène, héritier d’une riche famille amoureux éperdu d’une jeune fille dont il pourrait être le père, mais dont il déclare haut et fort qu’il veut en faire son épouse. Son compère, son acolyte, plutôt, n’est pas non plus très recommandable. On découvre peu à peu qu’on a affaire à de véritables escrocs. David est en réalité un marchand de sommeil qui profite de la détresse d’émigrés noirs pour leur proposer des locations douteuses. À l’occasion, dans des maisons habitées par des personnes âgées, il n’hésite pas à dérober un tableau ou une gravure.



Et, pour couronner le tout, la malheureuse Jenny, découvre, incidemment en cherchant du feu dans une boîte à gants, que son amoureux est marié et père de famille. Elle fera d’ailleurs la connaissance de l’épouse, Sarah (Sally Hawkins), au demeurant sympathique et résignée.



Mais, le hic du hic, c’est que d’entrée de jeu, David Goldman se présente comme juif à la famille Miller. Si cela étonne Jack et Marjorie, ils s’y feront, se réjouissant par avance d’un beau mariage annoncé. Les enseignantes de Jenny, elles, par contre, nous gratifieront de belles tirades antisémites, témoins de l’atmosphère, en Grande-Bretagne, dans certains milieux, à cette époque.



L’histoire a beau être déclarée comme autobiographique, la connexion Juifs-Brigands ne manquera pas d’être faite par certains mauvais esprits. Et c’est cela qui gêne. Était-il nécessaire d’introduire la judéité de David d’autant plus qu’il n’est pas très regardant en matière de religion puisque sa première invitation proposée à Jenny est pour une sortie en boîte un vendredi soir ?



Les acteurs sont tous excellents avec une palme spéciale à Carey Mulligan, mais on ne saurait passer sous silence un petit malaise autour du personnage brillamment interprété, il faut le reconnaître, par Peter Sarsgaard.



Fort heureusement pour Jenny, elle fera amende honorable et reprendra le cours de sa vie de jeune fille interrompu par un beau rêve qui n’était finalement qu’un songe creux.



Aux réticences près sur le personnage de David, « Une éducation » est un très bon film.



Jean-Pierre Allali



(*) De Lone Scherfig. 1h35. Avec Carey Mulligan, Peter Sarsgaard, Alfred Molina, Dominic Cooper, Rosamund Pike, Emma Thompson, Olivia Williams, Cara Seymour, Sally Hawkins, Matthew Beard, Amanda Fairbank Hynes, Ellie Kendrick et Beth Rowley.