Selon un procédé désormais bien rodé, l’auteur parsème son récit qui navigue lui-même entre les souvenirs du passé et le présent, de bribes de mémoire : photographies, lettres, documents administratifs.
« Comme pour Perla et Jean, je vais tenter de reconstituer l’histoire de ma tante et de ses ancêtres comme un puzzle, mais il manquera, hélas, de nombreuses pièces », nous confie l’auteur en préambule. C’est que Nacha, bien que vivante, ne peut plus être d’aucune aide dans cette quête du « Zakhor », du souvenir. La terrible maladie découverte en 1907 par le psychiatre Aloïs Alzheimer est passée par là. Dans la maison de retraite d’Andrésy, dans les Yvelines, Nacha, la belle Nacha, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Frédéric Brun en est désormais réduit à fouiller dans de vieux tiroirs, à exhumer des papiers jaunis. Ainsi ce certificat traduit du polonais : « Je certifie que le vingt-deux août mil neuf cent vingt-deux, à trois heures du matin, est née de Ruchla Grosman, épouse de Kopel Grosman, demeurant à Olkusz, un enfant du sexe féminin, qui a reçu le prénom de Nacha. ». Heureusement qu’Alzheimer n’atteint pas les services de l’état civil, grands conservateurs de la mémoire des habitants du pays. Toute la famille a rejoint la France l’année de la naissance de Nacha. Kopel, fils de Schïa et Blima, Ruchla, fille de Nathan et Sarah, native de Zarnovice et leurs trois enfants, Perla qui deviendra Paulette, Nacha, future Nadia et Mayer qui tombera au champ d’honneur, dans l’Aisne, en 1940. Perla, on le sait, sera déportée, en 1944, de Drancy à Auschwitz, dont elle reviendra. Quant à Nacha, elle réussira à se cacher à l’Hôtel de France de Ribérac en Dordogne.
Où trouver les bribes de renseignements nécessaires à la reconstitution dans laquelle se lance l’auteur ? À l’Hôtel de France de Ribérac ? Hélas, ils n’ont pas conservé leurs archives de l’époque. En Israël, où vit Oded, un vague cousin ? Sur Internet ? Bonne idée. On peut y trouver des yizker-bikher, livres du souvenir des communautés ashkénazes. Celui d’Olkusz contient de nombreuses photographies. « Un lent travelling en noir et blanc, accompagné par des chants yiddish, me fait découvrir de multiples tombes abîmées dans la campagne et la neige. Des stèles penchées dans un terrain vague. La tombe de mes arrière-grands-parents est peut-être là… ».
Frédéric Brun se prend à rêver, à imaginer la Pologne d’antan, des shtetls où ont vécu ses ancêtres. Il imagine leur vie d’alors, la dureté de chaque jour et l’antisémitisme endémique. Des tableaux de Chagall lui traversent l’esprit, donnant un peu de couleur et d’espérance à sa vision assez grise.
Revenons à Nacha qui se morfond dans sa tour d’ivoire à Andrésy. Dans les années cinquante, elle était vestiaire dans un cabaret de la rue Fontaine, « La Nouvelle Ève ». Pas classique pour une jeune fille juive polonaise. Elle s’est plus tard retrouvée à Dakar, au cabaret « Le Pigalle » et au « Café de Paris » d’Abidjan. Dans les années soixante, la voilà caissière au bar « Alexandre » non loin du « Fouquet’s » puis au « Ramponneau », vers le pont de l’Alma. Elle avait un amoureux italien, Pietro qui l’avait emmenée à Florence.
Depuis que l’auteur a entrepris sa quête, Nacha a quitté ce monde. « Il y avait six personnes à son enterrement : deux amies fidèles, un rabbin, Manon, Jean et moi-même. Nacha a été inhumée, comme elle avait vécu, discrètement ».
Une vie, une mort, un bel hommage.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Stock. Février 2010. 176 pages. 16 euros.
(1)Éditions Le Livre de Poche. Janvier 2008. Voir notre recension du 16-09-2008
(2)Éditions Stock. 2008.