A lire, à voir, à écouter
|
Publié le 18 Février 2008

Vichy et les Juifs. L’exemple de l’Hérault (1940-1944) Par Michaël Iancu (*)

Si les ouvrages sur la Shoah sont légion, si les témoignages individuels de ceux qu’on appelle désormais « les derniers témoins » se multiplient, les analyses de la période sombre de l’Occupation de notre pays par les nazis vue sous l’angle régional sont plutôt rares. C’est pourquoi l’étude magistrale de Michaël Iancu sur les années de plomb que vécurent Montpellier et sa région sous le régime de Vichy est la bienvenue. En se focalisant sur l’Hérault, elle apporte un éclairage original sur la période tragique 1940-1944.


L’auteur commence par examiner la condition des Juifs et leur image dans la presse montpelliéraine. A l’époque, deux quotidiens, L’Eclair et Le Petit Méridional paraissent à Montpellier ainsi qu’un hebdomadaire, La Croix Méridionale supplément local à La Croix.
Journal se déclarant républicain, violemment anticlérical, proche du Front Populaire, Le Petit Méridional est en concurrence hargneuse avec L’Eclair, conservateur et monarchiste. La Croix Méridionale se positionne, pour sa part comme « hebdomadaire d’informations générales, de conquête religieuse, de progrès social et d’action catholique ».
Si l’on peut logiquement estimer que, sur la question des Juifs, de leur statut, un journal ancré à gauche devrait se montrer plus ouvert, plus généreux, on réalise qu’au fil des ans, hélas, il n’en fut rien. Les Juifs ont été vilipendés, attaqués, salis par l’ensemble de la presse locale aussi veule que servile. Tour à tour, les trois médias ont usé et abusé de l’association classique « Juifs-Francs-Maçons-Capitalistes ». Quand il n’est pas « maître de la propagande anglaise » ou « dominateur des Etats-Unis », le Juif est un métèque, un spéculateur qui fait du marché noir, un escroc, un comploteur, voire un communiste, un dangereux bolchevique, ennemi de nos amis allemands. Les Juifs sont aussi « des païens dont l’Eglise attend la conversion »
Michaël Iancu a patiemment épluché l’ensemble des journaux qu’il décrypte en classant les articles par catégorie. Chaque média est exploré, année après année. On mesure ainsi avec finesse son évolution. On constate que la situation en Palestine est un sujet récurrent. Le lecteur montpelliérain est ainsi informé de la levée d’une armée juive de 100 000 personnes, du bombardement de Tel-Aviv par l’aviation italienne qui fait 111 tués et 151 blessés le 12 septembre 1940, de l’épidémie de peste à Jaffa et Haïfa ou encore de la grève des rabbins mécontents de leur salaire. Bien entendu, c’est le Statut des Juifs avec ses conséquences douloureuses qui fait l’essentiel des nouvelles : détail des lois scélérates, arrestations, déchéance de la nationalité française, spoliations, conférences antisémites, discours de Hitler, abrogation du décret Crémieux, portraits négatifs de personnalités d’origine juive : Léon Blum, Jean Zay, Georges Mandel…
Dans une deuxième partie, Michaël Iancu traite des « Internements, rafles et déportations des Juifs étrangers ». En effet, après la Première Guerre mondiale, des Juifs venus de Turquie et de Grèce se sont installés à Montpellier, Béziers et Sète. A ceux-là s’ajoutent des Juifs venus de toute l’Europe centrale, notamment de Pologne. Des tableaux très détaillés permettent de se faire une idée précise de la situation de ces populations qui vont se retrouver internées dans des camps comme Agde. L’examen au cas par cas des demandes de libération des internés est comme un hommage posthume à ces centaines de personnes jusqu’ici tombées dans l’oubli. Un exemple, parmi tant d’autres des « fiches » ainsi dévoilées au public : « Herzel Chaskel Oscar. Polonais (carte d’identité belge). Sollicite sa libération et celle de sa femme Nechama née Salomon et leurs enfants Bermann et Max. Ressources : 1000 fr. en espèces et des brillants estimés à 17450 fr. (attestation jointe). Rapport transmis par le sous-préfet au préfet le 27 décembre 1940. L’avis n’est pas mentionné, dans ce cas, il s’agit d’un avis défavorable ». Toute la vie d’une famille et sa tragédie en quelques lignes !
Puis vient le temps des rafles. Là aussi, des tableaux circonstanciés redonnent un nom et une existence à des personnes qui, pour la plupart d’entre elles, auront connu une fin tragique.
La troisième partie examine la traque des Juifs, qu’ils soient français ou étrangers et, conjointement, la solidarité communautaire et l’action exemplaire des Justes.
Là encore, des tableaux et des examens de cas montrent l’étendue de la gigantesque spoliation qui s’organise. Le nombre de commerces juifs est répertorié par les autorités, ville par ville, village par village. Les documents retrouvés par l’auteur sont édifiants.
Peu à peu, la solidarité s’organise. Le C.A.R. (Comité d’Assistance aux Réfugiés) , l’O.S.E ; (Œuvre de Secours aux Enfants), l’ORT, les Eclaireurs Israélites, le Mouvement de Jeunesse Sioniste unissent leurs efforts pour venir au secours de leurs frères en détresse. Les Justes des Nations, honorés par l’Institut Yad Vachem, sauvent l’honneur de la France. Chacun d’eux fait l’objet d’une notice documentée.
Comme tout ouvrage d’historien, le livre de Michaël Iancu propose plus de cent pages d’annexes. On appréciera tout particulièrement le texte intégral du poème de Benjamin Fondane, alias Benjamin Vecsler, né à Jassy en Roumanie en 1898 et assassiné à Auschwitz en 1944, « Sur les fleuves de Babylone », celui de « L’Affiche Rouge » de Louis Aragon ainsi que le témoignage terrible d’un rescapé des camps, Maurice Benyakar, arrêté dans la commune du Pontet et déporté à Auschwitz où une grande partie de sa famille a péri.
Un livre de très grande qualité. Une contribution précieuse à l’Histoire de la Shoah.
Jean-Pierre Allali
(*) Editions des Presses Universitaires de la Méditerranée. Novembre 2007. 448 pages. 20 euros.