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Publié le 23 Janvier 2006

Vies interdites Par Mireille Boccara (*)

La collection « Témoignage de la Shoah » de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah s’est donnée pour mission de « garder et transmettre vers un large public la mémoire des victimes et des témoins des années noires des persécutions antisémites, de 1933 à 1945 ». Car, comme le dit Simone Veil, « si quelqu’un, seul, ne peut décrire l’indicible, la multiplicité des récits peut s’en approcher ». La publication des souvenirs de Mireille Boccara, sous le titre évocateur de « Vies interdites », va tout à fait dans ce sens.


Née à Lyon en 1928, de parents juifs tunisiens livournais, la petite Mireille aurait pu connaître une existence tranquille entre Lyon et Tunis en passant par Alger, Marseille , Paris ou Aix-les-Bains. C’était sans compter sans la folie meurtrière de l’hydre nazie et de ses troupes qui, le 11 novembre 1942, envahissent la zone dite « libre » de la France et poursuivent au Sud leur impitoyable chasse aux Juifs, déjà enclenchée dans le Nord. L’univers d’Élie Lalou Boccara, bourgeois respecté, négociant en tapis réputé pour son savoir faire, s’écroule peu à peu. Dès lors, il faut louvoyer, se cacher, se déplacer, changer de nom, simuler une autre religion, supporter les appels anonymes antisémites, se défaire de marchandises précieuses en vendant à bas prix, céder les entreprises à des prête-noms aryens.
Les hivers sont rudes et les denrées de base rationnées.
Malgré les injonctions et les sollicitations, Élie Lalou Boccara ne veut rien entendre. Il refuse de tout abandonner, de quitter la France, pour des cieux plus cléments. Pourtant, la pression des événements se fait plus grande. L’étau, peu à peu, se resserre. Des membres de la famille, des voisins et des amis proches sont arrêtés, d’autres ne donnent plus de leurs nouvelles. La situation empire de jour en jour. Mireille a quinze ans. Elle raconte : « Une autre vie a commencé. Une vie de fugitifs. D’un moment à l’autre, plus de père, plus d’appartement et, pour vêtements, ceux que nous portons ». Son récit, plein de tendresse, est alerte. On la suit pas à pas, dans la tristesse comme dans les petites joies, pour le meilleur et pour le pire. Le pire qu’on ne réalisera pleinement qu’à la Libération. Arrêté, Élie Lalou Boccara est interné au fort de Montluc puis, de Drancy, déporté à Auschwitz par le convoi n°63. Après avoir participé à la Marche de la Mort de sinistre mémoire, il meurt en Pologne, à Opole. Son beau-frère, Armand Cohen, membre d’un réseau clandestin, a été fusillé. Des vies volées, des vies détruites en pleine force de l’âge, des vies interdites. Un très beau témoignage.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Le Manuscrit. 2005. 260 pages. 21,90€