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Le Figaro Littéraire : L'antisémitisme d'une partie du monde musulman actuel procède, écrivez-vous, d'une occidentalisation des consciences islamiques. N'est-il pas alimenté d'abord par la lettre du Coran, et l'exemple du prophète?
Abdelwahab Meddeb : Il faut distinguer antijudaïsme et antisémitisme. La position du prophète à Médine à l'égard des juifs procède d'un enjeu religieux. Comme le christianisme avant lui, l'islam, dès sa naissance, a connu ce que j'appelle l'épreuve des juifs. L'islam a la même genèse que le judaïsme, et demande aux juifs d'adhérer à la religion nouvelle qui authentifie leur révélation et la rectifie. L'islam n'est pas comme le christianisme dans le dépassement de la loi, l'ère de la grâce, mais dans la même perspective, exactement, que le judaïsme. Il y a, dans l'islam, un processus de récupération théologique de l'origine. Mais cette opération n'a pas instauré une violence structurelle. La violence, virtuelle, s'exprime lorsque la conjoncture politique l'excite.
La violence contre les juifs est pourtant présente dès les origines?
Dans la scène première de l'islam, un temps de cohabitation a précédé un temps d'extrême violence. Sous l'autorité du prophète, il y a eu massacre et bannissement de deux tribus juives à Médine. C'est vrai que dans leur accès sauvage à la lettre du Coran et à la tradition, les intégristes de l'islam trouvent des arguments massifs dans leur haine des juifs. On trouve dans le Coran, au sujet des juifs, les accusations de trahison, de non-fiabilité, d'infidélité. Tous ces versets anti-juifs convergent vers les thèses antisémites. Mais il faut rappeler aussi la cohabitation qui a eu lieu dans l'histoire. L'islam n'a pas exercé de manière systématique et au nom du dogme, car dogmatiquement ce n'était pas soutenable, la force de l'épée pour imposer aux juifs la conversion. Ponctuellement, des pouvoirs intégristes ont émergé qui appelaient à un retour à la pureté de la lettre et sommaient juifs et chrétiens de se convertir s'ils ne voulaient pas être massacrés sur place. Mais le dogme islamique reconnaît le statut, la vérité partielle du judaïsme et du christianisme, ce qui aboutit à leur survie au sein de la cité et au fameux statut juridique de «protégé», de «dhimmi», dont Voltaire faisait l'éloge au XVIIIe siècle, pensant que cette reconnaissance n'existait pas du tout dans la tradition catholique. Ce statut de «dhimmi» devient complètement obsolète et insuffisant avec la naissance du statut de citoyen au sens européen, à partir de 1789. Les Juifs sont alors reconnus comme citoyens à part entière… Lire la suite.