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Par Nicolas Weill, publié dans le Monde le 17 juin 2015
Le style épique convient assurément à la littérature inspirée par la seconde guerre mondiale et ses horreurs. Qu’on pense seulement à Kaputt, de Malaparte (Denoël, 1946), où le narrateur journaliste parcourt inlassablement l’Europe sous la coupe des nazis, de la Laponie à Naples. L’écrivain israélien Aharon Appelfeld, lui-même rescapé de la Shoah, choisit pour son épopée à lui l’option inverse. Il crée un microcosme où les contradictions de cette époque de ténèbres sont observées à la loupe par le biais d’une centaine de partisans juifs échappés des ghettos et des camps de travail. Cette poignée d’hommes, cachés dans les forêts et les montagnes d’Ukraine, là même où naquit le piétisme juif hassidique, résiste, en attendant l’arrivée imminente de l’Armée rouge, aux persécuteurs soucieux d’appliquer la « solution finale » jusqu’au bout et à une population hostile aux juifs, à l’occasion complice des massacreurs.
Le tableau au cadre réduit, mêlant style réaliste et onirique, signe caractéristique de l’écriture d’Appelfeld, n’en restitue pas moins une image d’ensemble du sort des Juifs au moment de leur disparition des terres qu’ils habitaient depuis des siècles. En s’attachant cette fois à des figures de combattants, l’écrivain inverse l’image traditionnelle de la victime juive « comme une brebis docile qu’on mène à l’abattoir » (Jérémie, 11, 19). Le charismatique commandant du groupe, Kamil, sorte de Moïse moderne, nourri des philosophes juifs allemands du XXe siècle, Martin Buber et Franz Rosenzweig, mais aussi de la connaissance des sentiers de montagne, interpelle ainsi un médecin ukrainien, Krinitzki, qui renâcle à soigner des blessés parce qu’ils sont juifs : « La foi en l’homme ne s’est pas éteinte en nous. – Oui mais en quoi suis-je responsable de tout ça ? – De mon point de vue tu n’appartiens déjà plus à la famille humaine. Un homme dénué de respect pour l’humain, un médecin ayant trahi sa discipline, est un insecte, un être rampant. – Les Juifs ne parlent jamais comme ça, se révolta Krinitzki. – Ah bon ? Comment parlent-ils alors ? Raconte-nous un peu. – Les Juifs acceptent leur destin en silence. – Pas ici, pas dans ces montagnes, pas sous mes ordres »… Lire l’intégralité.
Les Partisans (Ad hod ha-Tsa’ar), d’Aharon Appelfeld, traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti, Seuil, 320 p., 22 €.
Signalons également la parution d’Aharon Appelfeld. Cent ans de solitude juive, de Michèle Tauber, Le Bord de l’eau, « Nouveaux classiques », 246 p., 22 €.
Source: http://www.lemonde.fr/livres/article/2015/06/17/aharon-appelfeld-la-foi-en-l-homme_4656287_3260.html#cQvUVPMjgmUWarhF.99