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Publié le 21 Septembre 2012

Correspondance 1912-1947 « Sommes-nous d'accord ? », par Jean-Richard Bloch & André Spire (*)

Marie-Brunette Spire consacre depuis des années une énergie remarquable à entretenir la mémoire de son père, André Spire et de tous ceux qu'il a côtoyés. En témoigne le travail remarquable accompli récemment autour d'Israël Zangwill et de son extraordinaire « Enfants du Ghetto » (1).

La publication de la correspondance entre le romancier, essayiste et directeur de revue, Jean-Richard Bloch et le poète André Spire, est un travail véritablement monumental. Il permet de reconstituer pas à pas tout à la fois l'atmosphère d'une époque, notamment celle de la Première Guerre mondiale et le cheminement intellectuel des deux hommes, deux Juifs français, pris entre leur désir de s'intégrer parfaitement à la nation et leur intérêt pour la lente gestation de ce qui deviendra, en 1948, l'État des Juifs, Israël.

 

S'il est vrai que la lecture chronologique d'un courrier entre deux amis comporte par la force des choses bon nombre de considérations personnelles : les petits ennuis de santé, les histoires familiales, les démêlés professionnels...elle permet surtout de découvrir ou de redécouvrir l'influence qu'eurent à l'époque des personnalités comme Henri Hertz, Jacques Copeau, Albert Cohen, Ludmila Savitzky, Léon Bazalgette, Pierre Jean Jouve, Marcel Martinet, Georges Duhamel, Daniel Halévy, Charles Vildrac ou encore Baruch Hagani. La figure de Zangwill est très présente dans cette correspondance. À sa mort, en 1926, les deux hommes, André Spire comme président et Jean-Richard Bloch comme membre, lanceront le Comité de Paris de l'Israël Zangwill Memorial Fund.

 

Autre personnage omniprésent, Romain Rolland, à propos duquel on a pu se poser des questions sur son attitude relativement aux Juifs. Bloch et Spire ont pour lui une admiration sans failles. D'ailleurs, dans son livre « Souvenirs à bâtons rompus » (2), André Spire, dans un chapitre intitulé « Romain Rolland fut-il antisémite ? » examinera avec minutie la question et conclura sans ambages de manière favorable à l'intéressé.

 

Au fil des lettres, on découvre l’œuvre particulièrement riche des deux auteurs et l'opinion de chacun sur le travail de l'autre. Enfin, ce courrier permet de retracer la vie des deux hommes, avec ses épisodes joyeux et ses drames. André Spire, grand sportif, André Spire, confronté à la gestion de l'usine familiale de fabrication de chaussures, André Spire face à la mort de son épouse, Gabrielle Garet-Spire en 1936 ( Il épousera en secondes noces, en 1940, sa petite cousine Thérèse Marix). Jean-Richard Bloch blessé gravement à la Première Guerre mondiale, paiera un lourd tribut lors de la Seconde : sa fille, arrêtée par la police française, pour faits de Résistance en mai 1942, fut décapitée à la prison de Hambourg, le 12 février 1943 et sa mère, âgée de 86 ans, arrêtée en 1944, internée à Drancy, fut déportée à Auschwitz le 30 mai 1944 et assassinée le 2 juin 1944.

 

Le voyage en Palestine, en 1920 pour Spire, en 1925 pour Bloch permet de bien comprendre les deux visions de l'avenir du peuple juif que pouvaient avoir alors deux intellectuels juifs français sur fond de crise identitaire.

 

« Sommes-nous d'accord ? » demandait Jean-Richard Bloch à André Spire en mai 1912 en lui proposant de collaborer à sa revue « L 'Effort Libre ». La lecture ce cette riche correspondance permet aussi de répondre à cette question.

 

Né en 1884, Jean-Richard Bloch est mort en 1947. Né en 1868, André Spire est décédé en 1966.

 

Jean-Pierre Allali

 

(*) Éditions Claire Paulhan. Préface et annotations par Marie-Brunette Spire. Février 2011 . 480 pages. 44 euros.

(1) Éditions Les Belles Lettres, décembre 2011. Voir notre recension dans la Newsletter en date du 16-04-2012.

(2) Éditions Albin Michel, 1962.