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Philosophe et historien controversé - ses travaux sur la «nouvelle droite» ont par le passé suscité de vives polémiques, comme ses attaques plus récentes contre Stéphane Hessel -, Taguieff ne vise pas cette fois à attiser les passions. Il livre un ouvrage dense, mais accessible, poursuivant un travail déjà ancien sur les interprétations conspirationnistes. À partir des Protocoles des sages de Sion, faux document censé établir au début du siècle dernier un plan de conquête du monde par les Juifs, Pierre-André Taguieff remonte le temps des complots, succession de visions paranoïaques de l’histoire, jusqu’aux premières années de ce siècle, où ils semblent se bousculer.
Le 11 Septembre a permis, selon Taguieff, aux conspirationnistes de fonder une nouvelle approche. Il n’y a plus d’affirmation a priori d’un complot, mais l’observation «de failles dans les explications officielles» fondant les doutes, le scepticisme. La particularité de ces nouveaux conspirationnistes, écrit l’historien, est de faire «émerger une forme nouvelle de pensée du complot acceptable par des publics non extrémistes». Suit une série d’histoires plus ou moins grotesques : la crise mondiale, la grippe H1N1 et la main obscure des laboratoires pharmaceutiques, la mort de Ben Laden, mais aussi l’affaire DSK, objet d’une kyrielle d’analyses complotistes souvent contradictoires.
Cette banalisation au XXIe siècle de la «culture conspirationniste» qui s’amplifierait par «l’écart croissant entre le désir de transparence des citoyens et la perception d’une réalité opaque» se nourrit avant tout d’une profonde méfiance à l’égard des médias, accusés pêle-mêle de cacher la vérité, de tromper le peuple, de servir les puissants… Les blogs, les sites internet renforcent, selon le philosophe, cette paranoïa et viennent «miner notre démocratie», faisant le jeu des démagogues porteurs de vérité contre des élites adeptes du mensonge.
Mais le pire est peut-être l’incapacité de la raison à résister à la prolifération menaçante des interprétations complotistes de l’histoire qui, écrit Taguieff, «éclairent en aveuglant». Le remède : «L’éducation, affirme-t-il. Le sens de la pluralité des points de vue, l’habitude de discuter sans haine avec des contradicteurs et le goût de l’examen critique des thèses les mieux étayées.» Notre capacité, au fond, à résister et combattre les populismes.
Court Traité de complotologie de Pierre-André Taguieff Éditions des Mille et une Nuits, 440 pp., 23 €.
Source : http://www.liberation.fr/societe/2013/04/12/des-complots-au-grand-complet_895815