Dessinez-nous l'Europe, Cahiers Bernard Lazare (*)

Où va l'Europe ? Dans son éditorial qui rappelle fort opportunément les étapes de la construction d'un projet en gestation depuis 1927 par la voie d'Aristide Briand, alors Président du Conseil, et qui verra le jour, porté sur les fonts baptismaux par ses deux pères, Jean Monnet et Robert Schuman, le 9 mai 1950, Claude Hampel se demande : L'Europe est-elle au pied du mur ? Sévère et désabusé, Bernard-Henri Lévy considère que « L'Europe n'est pas en crise, elle est en train de mourir ». Partout, dit le philosophe, elle se délite. Dès lors, conclut-il, « Nous n'avons plus le choix : c'est l'union politique ou la mort ». Julia Kristeva est moins pessimiste. Elle en appelle à la culture pour sauver l'Europe et, se référant au « Pâté d'anguille » de Jean de La Fontaine, elle se fait le chantre de la diversité, appelant les Français à devenir polyglottes. « C'est en passant par la langue des autres qu'il sera possible d'éveiller une nouvelle passion pour chaque langue ». Partisane de la création d'une Académie des Cultures européennes, Julia Kristeva, qui se définit comme « citoyenne européenne, de nationalité française, d'origine bulgare et d'adoption américaine », considère qu'« au carrefour du christianisme, du judaïsme et de l'islam, l'Europe est appelée à établir des passerelles entre les trois monothéismes ».

Le dossier comprend des interventions de plusieurs spécialistes : Dominique Moïsi, politologue, pour qui « L' Europe est en partie victime de son succès », l'ancien ambassadeur d'Israël en France, l'historien Élie Barnavi qui rappelle que « L' Europe a été à la fois le sommet et le fossé de l'humanité », l'écrivain Norman Manea qui s'intéresse à l'influence de la Mitteleuropa sur la pensée et la littérature américaines de nos jours, Daniel Cohn-Bendit, qui tire sa révérence, car « Être député européen, c'est épuisant », Maurice Rieutord, pour lequel « L' Europe souffre d'un manque de politique cohérente », Jolanta Kurska, qui rappelle la figure du polonais Bronislaw Geremek et milite pour « un nouvel imaginaire pour l'Europe » ou encore la députée européenne Sylvie Goulard, qui insiste sur la lutte contre l'exclusion et la nécessité de créer en Europe des lieux de dialogue et de croisement des savoirs.

Daniel Bensoussan-Bursztein traite de l'extrême droite, Stéphane Encel nous dit que « le nazisme est un centrisme » et Élie Barnavi étudie la situation en Hongrie où Victor Orban et son parti, le Fidesz, font désormais la pluie et le beau temps et où  le Jobbik s'affirme comme le parti d'extrême droite le plus puissant d'Europe.

Le judaïsme et Israël ne sont pas absents des débats. Charles Dobzynski estime que la pensée juive est indissociable de la culture européenne et Max Kohn renchérit en décrivant les Juifs comme un « peuple-monde ». Élie Barnavi n'hésite pas à dire que « Les Israéliens sont plus européens que n'importe quelle autre nation ». Dominique Moïsi considère, lui,  qu'Israël est un pays devenu schizophrène et précise : « Je n'ai jamais vu un pays aussi dynamique et sûr de lui à l'intérieur et aussi isolé à l'extérieur », Giorgio Gomel, économiste, se penche, entre autres, sur l'hostilité en Europe à l'égard de l'autre, notamment des Juifs, conduisant à une « aversion indifférenciée du sionisme et du monde juif dans son ensemble ».

Enfin, sont également intégrés à ce dossier une présentation de l'OSE, « ONG européenne » et un document sur les Juifs de Gibraltar. Un numéro d'actualité très riche et très intéressant

(*) Nouvelle série n°359. Mai 2014. 36 pages. 5 euros.