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Juif, israélien, attaché à la France par sa culture, à l'Europe, pour son horizon de sens
"Les religions, dit-il, sont revenues en force dans un Occident déchristianisé".
Le phénomène religieux, la pratique religieuse n'ont pas disparu. Au contraire. Elles surgissent de nouveau ici et là, s'invitent dans notre quotidien, font acte de présence. Encore faut-il les comprendre, les voir, suivre le fil de leurs nuances pour mieux les appréhender et saisir leur place dans nos sociétés.
C'est le but de cette exposition à la fois savante et artistique commissionnée en duo avec Raphaëlle Ziadé, de réunir des œuvres rares, prêtées par le British Museum, le Musée Israël à Jérusalem, le quai Branly, ou le Musée national du Burkina Faso.
Animisme, polythéisme et monothéisme sont dévoilés. Des divinités, incarnées ou non -en raison de l'interdit pour l'islam ou le judaïsme de représenter le divin- hindoues, chrétiennes, juives, musulmanes, asiatiques, australes, africaines, anciennes ou pièces contemporaines sont exposées sur un même plan.
Des étapes tout au long de l'exposition -cultes, passages, intercesseurs, corps, conflits et coexistence, lieux, ou au-delà- permettent de se réapproprier le phénomène religieux, ses pratiques et entendre comme un écho la phrase de Malraux: "le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas".
L'ignorance, un mal contre les religions
"L'erreur, selon Elie Barnavi, est que l'on ait arrêté d'enseigner la religion. L'Occident contemporain, dit-il, est la première civilisation sans Dieu".
Ce qui a pour conséquences un déficit de savoir, de connaissances.
"Un jeune qui se promène au Louvre ne sait plus reconnaître les signes religieux dans un tableau, tout comme repérer les caractéristiques de l'architecture lorsqu'il rentre dans une cathédrale".
L'ignorance produit, pour l'historien, cette incapacité à comprendre les phénomènes religieux qui nous entourent.
Il faut fournir des outils de compréhension pédagogiques pour entendre que l'on n'a pas affaire à un ennemi.
Pour Elie Barnavi, la religion est "une structure du pouvoir, un réseau d'échanges, une grille d'interprétation du monde, un baume contre l'angoisse existentielle de l'individu, et de la collectivité et aussi un système symbolique pourvoyeur de sens, de valeurs et d'identité".
Le positif et le négatif s'entremêlent. C'est la vie des collectivités, comment elles sont traversées par le religieux, sa pratique, ou son refoulement.
Une arme et une colombe
La religion aujourd'hui comme hier est une affaire de conflits. La violence est inhérente aux trois religions monothéistes.
"Toute religion révélée, dit l'historien des guerres de religion, est une religion de combat. Seules les armes changent, et l'ardeur à s'en servir".
S'interroger sur le terrorisme qui tue au nom de la religion, c'est savoir que les organisations qui s'en réclament, comme Al-Qaïda, rappelle Elie Barnavi "font de l'islam une lecture erronée".
"On ne peut pas changer les textes, explique Elie Barnavi. Mais on peut interdire à toute religion de devenir un facteur de poids dans l'espace public. [Il revient de les encadrer avec] un ensemble de mesures pédagogiques, administratives, policières, juridiques".
Séparation nécessaire pour endiguer les abus, ou les glissements de pouvoir.
Le christianisme, né à l'intérieur de l'État romain, revendique à sa source son indépendance par rapport au pouvoir séculier. Jésus dit: "Mon royaume n'est pas de ce monde". On distingue deux royaumes, deux mondes, deux épées, même si à l'intérieur, l'Église et l'État forment un double pouvoir.
L'islam privilégie la religion.
Pour survivre, l'Etat, souligne Elie Barnavi "passe un contrat avec les islamistes pour récupérer l'armée et la police tandis que la culture et la société sont contrôlées par le pouvoir religieux".
Dans le judaïsme, religion et État sont confondus: c'est l'État national, mais avec une forte conscience laïque, car né de l'idée du sionisme fondé par les Européens.
Toutefois, "la laïcité en Israël, souligne Elie Barnavi, n'existe pas, car le statut des citoyens est régi par l'ordre rabbinique".
La religion, l'intemporelle, est aussi solidement ancrée dans son temps.
D'abord de vastes mouvements migratoires puis Internet, les réseaux sociaux et les télés évangélistes ont remplacé les missionnaires d'antan. Aujourd'hui, tout est affaire de mondialisation et se transmet à une vitesse éclair pour le plus grand nombre.
En témoigne rappelle Elie Barnavi, "la rapidité avec laquelle les sombres affaires comme celle récente des caricatures ou de ce film obscur qui parodie le prophète Mahomet se sont propagées dans le monde".
La religion est aussi affaire de coexistence entre fidèles qui œuvrent pour une paix fragile, mais précaire.
Un corps sous contrôle
Des religions on passe aux individus, aux identités, aux corps, aux frontières entre le profane et le sacré. Aux hiérarchies. L'homme est premier, la femme seconde, du moins dans les trois grandes religions monothéistes, à l'exception des Saintes dans le christianisme. Mais le rôle de la femme demeure partout "une place déprimée". Elle est tentation, la chair et le sang.
"C'est elle qui tente Adam", rappelle Elie Barnavi.
La femme normale n'existe pas. Une prière quotidienne dans le judaïsme remercie Dieu "de ne pas (m)'avoir fait femme, ni esclave".
Les religions font surgir les êtres charismatiques, les intercesseurs, les prophètes. Les expériences mystiques sont l'incarnation d'un dialogue avec Dieu. On est touché par la grâce ou l'on entend des voix directement. Thérèse d'Avila, Thérèse de Lisieux ou Padre Pio plus récemment (mort en 1968) en sont des figures. Le corps et l'esprit reçoivent le message divin.
Le mouvement du judaïsme hassidique invite à la danse pour communier ensemble. Tomber en transe en Haïti touche à cette extase collective.
Le corps, "cette phase visible du croyant" explique Elie Barnavi, "doit être contrôlé, de la sexualité, au vêtement, en passant par ce qu'on ingère et les règles alimentaires".
Elie Barnavi, l'historien des religions, est un homme laïc, un juif agnostique, séculier, "un juif national" dit-il, "parce que faisant partie de ce peuple dont l'expression est l'État d'Israël". À la question "qui sommes-nous?", qu'il pose enfant, son père issu d'une longue lignée de rabbins russes, mais communiste et sioniste, lui répond : "juifs". Aujourd'hui, il complète:
"Juif, israélien, attaché à la France par sa culture, à l'Europe, pour son horizon de sens".
Dieu(x), modes d'emploi, 25 octobre 2012 au 3 février 2013.
Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
Un article de David Kanner, spécialiste du Moyen-Orient.