A lire, à voir, à écouter
|
Publié le 16 Avril 2012

Enfants du ghetto - étude d'un peuple singulier, par Israël Zangwill (1)

Voici un livre extraordinaire d'un auteur qui ne l'est pas moins. Véritable Dickens du monde juif, Israël Zangwill, dans son ouvrage, nous permet de voir revivre le Ghetto de Londres dans les années 1880. Tout un monde aujourd'hui disparu, une véritable comédie humaine avec ses personnages juifs hauts en couleur, le marieur et le mendiant, le pauvre type, le malchanceux et l'homme de l'air, le fameux luftmensch, le marchand d'habits,  le parvenu, la jeune fille à marier et ses prétendants...

 

Dans « Les petits-enfants du Ghetto », c'est une peu la fin d'une génération et l'émergence d'une autre

À cette époque, venus essentiellement d'Europe de l'Est, Autriche, Russie, Pologne, Allemagne, Hollande... pratiquant le « jargon », c'est-à-dire le yiddish, des milliers de Juifs pauvres, constituant véritablement un « peuple singulier, »se sont installés dans l'East End, investissant totalement le quartier de Whitechapel. Ils sont désormais fondus et pleinement intégrés dans la nation qui les a accueillis et ont laissé de nos jours la place aux Pakistanais et aux Bangladeshis.

 

L'ouvrage est composé de deux livres distincts : « Les enfants du Ghetto » et « Les petits-enfants du Ghetto » mais l'on retrouve, certes bien changés, car ils pratiquent désormais un anglais châtié plutôt que la langue d'antan désormais considérée comme vulgaire, les principaux personnages de la première partie dans la seconde.

 

Dans « Les enfants du Ghetto », Zangwill, à travers notamment les péripéties que vit la famille de Moses Ansell, brosse un tableau saisissant de la vie quotidienne dans le Shtetl de Londres : les gens, les institutions, les fêtes juives, le sionisme...

 

On découvre avec étonnement le chant patriotique allemand « Wacht am Rhein »,   devenu « Veille sur le Jourdain », donné dans son intégralité dans le livre,  qui inspirera Naphtali Herz Imber pour l'écriture de « Tikvaténou » qui sera plus tard « Hatikva », l'hymne national israélien. Zangwill donnera à Herz Imber les traits d'un personnage truculent de son livre , Melkhitzedek Pinhas.

Autre étonnement, la référence au « judaïsme musclé » lorsque, sous l'impulsion du leader sioniste Max Nordau, la pratique du « Muscular Judaïsm » sera popularisée en Angleterre. Dans cet esprit, deux grands boxeurs juifs marquèrent leur époque : Daniel Mendoza et Dutch Sam, Sam le Hollandais, alias Samuel Elias, inventeur de l'uppercut.

 

Incroyables aussi, ces remarques très modernes sur Pessah  où l'auteur, notant l'accroissement, au fil des ans, des produits « cacher léPessah » écrit : « Il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'un jour on sache rendre le pain lui-même consommable à Pâque ». Prémonition remarquable quand on voit désormais en vente, en Israël et même à Paris du pain de mie « cacher léPessah »!!!

 

Dans « Les petits-enfants du Ghetto », c'est une peu la fin d'une génération et l'émergence d'une autre. Des années ont passé, on retrouve les enfants du Ghetto, dix ou quinze ans après, en particulier Esther Ansell, fille de Moses, toujours en proie aux doutes sur la valeur de sa foi d'origine et attirée par le christianisme, auteure, sous le pseudonyme d'Edward Armitage d'un livre très critique à l'égard de la communauté juive anglaise, « Mordecaï Josephs » et son amoureux, le journaliste Raphaël Léon, rédacteur en chef du « Drapeau de Judah » à propos duquel l'auteur, toujours très moderne, écrit : « Le journalisme creuse  des rides sur les constitutions les plus robustes ».

 

La question de l'assimilation et de la multiplication des mariages mixtes est centrale comme la lutte sans merci entre les Anciens et les Modernes.

 

La traductrice, Marie-Brunette Spire doit être félicitée. Elle réalise un véritable exploit en adaptant remarquablement les phrases prononcées en « charabia » anglo-hébraïco-allemand, et en nous proposant des notes aussi nombreuses qu'éclairantes ainsi qu' une postface sur « Israël Zangwill, un écrivain singulier » d'une richesse inouïe.

 

À lire et à relire sans aucune modération.

 

Jean-Pierre Allali

 

(1) Éditions Les Belles Lettres. Décembre 2011. Traduction de l’anglais, notes, glossaire et postface par Marie-Brunette Spire. 656 pages. 29 euros.