Par Stéphanie Dassa, Directrice de Projets au CRIF
Des doigts qui se tordent, des mots embouteillés dans une gorge trahie par l’émotion, une phrase amputée et le regard fuyant à 90° : l’estime de soi où le refus de verser des larmes en public.
Des séquences dans cette veine émaillent le documentaire produit par le Musée de la Résistance et de la Déportation de Grenoble intitulé « Cette part d’humanité » et qui tente de faire la jonction entre « sauveurs et sauvés » en revenant finalement sur la relation entre juifs et non-juifs sous l’occupation dans cette région si particulière que d’aucunsnomment « refuge. »
Pourquoi l’Isère ? Pourquoi Grenoble ? La part d’humanité y est-elle plus large? Non.
Nichés au creux des Alpes, encerclés par trois massifs- trois maquis potentiels-la Chartreuse, le Vercors et la Belledonne, 100 000 habitants y vivent vers 1940. « Au bout de chaque rue, une montagne » disait Stendhal… La ville présente donc un avantage géographique doublé d’un paramètre historique : l’occupation italienne dès novembre 1942. Et, last not least, c’est une ville universitaire.
Les Juifs réfugiés à Grenoble et dans la région de l’Isère ont bénéficié d’une relative quiétude due uniquement à la désinvolture des soldats du Duce ce qui a facilité le travail des réseaux de sauvetage.
Le documentaire laisse largement la parole à Liliane Klein Lieber et Madeleine Kahn Meyer, toutes deux responsables du planquage d’enfants ou d’adolescents et membres de réseaux de résistance juive. Elles et leurs camarades, en lien avec la résistance intérieure, ont trouvé des familles, des centres de soins, des institutions religieuses où les enfants ont passé la guerre. Pour certains ce furent les années les plus heureuses de leur existence, prises dans le sas de l’exode et de la Libération quand la vie laborieuse a repris son cours.
Des gens simples, taiseux et humbles- ceux de la Montagne ont ça de commun avec ceux qui affrontent la Mer-des hommes et des femmes qui ne savent pas répondre au « merci » de celui ou celle qui a eu la vie sauve. Parce que souvent les choses se sont déroulées très rapidement, dans l’action plus que dans la réflexion, par concours de circonstances, parce que sur le moment le risque n’était pas toujours évalué. La conscience d’avoir mis en danger tant de personnes chères pour en cacher une ou deux inconnues n’est venue qu’après.
Mais aussi-comment l’oublier ?-parce que ces Isérois, fers de lance du maquis, ont payé le prix du sang à la « Saint Barthélémy grenobloise » lors de la décapitation des réseaux de résistance en novembre 1943.
Ceux qui témoignent dans ce film au titre de Juste Parmi les Nations ont bien souvent perdu un frère, un père, un mari ou un amant et le souvenir des années de bonheur de ces enfants cachés n’est pas toujours teinté du même pigment pour eux.
« Cette part d’humanité », il paraît qu’on en a tous une, laisse à Grenoble et en Isère les traces d’une histoire glorieuse.
Par endroit.
(A la mémoire d’Edwige Elkaïm-ZAL, avec qui j’ai participé aux réunions du comité de pilotage pour la production de ce document et de l’exposition)