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Signant "Pierre Chavigny" ses éditoriaux de L'Avenir de la Vienne, quotidien collaborationniste, le docteur Michel Guérin est victime d'un guet-apens à Poitiers un soir de mai 1943. Il meurt d'hémorragies internes, victime de "la haine sauvage des partisans de cette civilisation asiatique que certains veulent instaurer en France par la terreur", selon le directeur de L'Avenir de la Vienne.
Les cinq membres du commando sont arrêtés le 5 août, déférés devant une juridiction française, même si l'occupant entend régler l'affaire. Les nazis s'étranglent quand la presse aux ordres se déchaîne et appelle à la vengeance. Un nouveau procès, instruit par les Allemands, a raison des jeunes gens et quatre d'entre eux sont fusillés le 6 octobre.
Myopie
Avocat et historien, Gilles Antonowicz fait de l'événement terrible un lieu d'observation passionnant pour mesurer les choix qui se proposent alors, et dont chacun arrête son option. Le contrôle de l'Hôtel de Ville, au gré des pressions exercées à Vichy, le clivage de la presse, passée du patriotisme à la servilité envers le vainqueur... Michel Guérin – qui eut son heure de gloire en accueillant à Poitiers, en avril 1942, Jacques Doriot, de retour du front russe où il a combattu sous l'uniforme allemand – déplore peu avant sa mort "le règne des médiocres", qui a empêché la "révolution nationale".
On est ébahi par l'amateurisme de certaines actions de ceux qui aspirent à organiser les résistances locales. Un paquet insuffisamment affranchi et mal ficelé, et c'est tout un réseau qui tombe aux mains de l'occupant ; une imprudente assurance, et les suspects sont cueillis au domicile de leurs parents. Loin d'égratigner la figure du résistant, ce constat prouve la myopie des protagonistes, ou leur impuissance à déjouer le piège qui se referme sur eux, tel le préfet Bourgain, cible des collabos et des résistants. La lecture d'Antonowicz, qui ne se clôt qu'avec les décrets d'amnistie promulgués en 1960, restitue l'incertitude du moment.
S'il n'est pas levé, le verdict de déshonneur qui obséda le temps de l'épuration est ainsi tempéré par le refus méthodique de toute lecture anachronique et omnisciente. Sartre témoignait, un rien provocant : "Jamais nous n'avons été aussi libres que sous l'Occupation." Sans doute, si être libre c'est assumer sa responsabilité.
Mort d'un collabo
par Gilles Antonowicz
Edition Nicolas Eybalin, 332 pages, 17 €
Source : http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/07/02/histoire-d-un-collabo_3440391_3232.html