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Publié le 2 Septembre 2013

Historien par accident et par fidélité

Par Philippe-Jean Catinchi

 

Tout est affaire de méthode. Et d'opportunité. Acteur – modeste – de l'Histoire, celle qui exige une majuscule, en tant que secrétaire de Jean Moulin, de la fin juillet 1942 à l'arrestation du résistant à Caluire-et-Cuire un an plus tard, Daniel Cordier n'avait pas l'intention de revenir sur ces années. Il s'était investi dans sa carrière de galeriste, collectionneur et marchand d'art. Jusqu'au mitan des années 1970, quand un livre d'Henri Frenay, qui stigmatisait le prétendu "cryptocommunisme" du martyr résistant, et une soirée thématique des "Dossiers de l'écran" l'arrachent à ce silence.

Cordier ne revendique qu'un sujet : "L'histoire des relations entre le général de Gaulle, Jean Moulin et les chefs des mouvements"

Comprenant qu'il doit se faire le "champion" de son "patron", Cordier accepte d'entrer dans la lumière. Si les historiens, depuis trente ans, se sont effacés devant les témoins, le privilège octroyé sans contrôle à la parole des chefs fausse la donne. Et Cordier sait la confrontation inégale entre "le témoignage d'un "chef historique", grand héros de la Résistance, celui de la "piétaille" dont étai ".

 

Aussi décide-t-il de se faire apprenti historien en explorant les fonds d'archives qu'il a conservés et que les "professionnels", Henri Michel en tête, ont négligés. Il en naît une oeuvre sans équivalent. Une biographie monstre, Jean Moulin. L'inconnu du Panthéon (3 vol., JC Lattès, 1989-93), une reprise synthétique magistrale, Jean Moulin. La République des catacombes (Gallimard, 1999), et, finalement, un retour plus intime sur l'aventure personnelle, l'historien autodidacte se faisant mémorialiste (Alias Caracalla, Gallimard, 2009).

 

C'est à ce parcours d'écriture, lié à la prise de conscience d'une cause à servir, que Daniel Cordier convie le lecteur de De l'Histoire à l'histoire, né de conversations avec un historien antiquisant, Paulin Ismard.

 

Lors de la séance à la Sorbonne organisée à l'initiative de François Bédarida et Jean-Pierre Azéma, en 1983, où la conférence de Cordier provoque un esclandre, le ministre Alain Savary commente : "Peut-être apparaîtra-t-il qu'il est plus facile de faire l'histoire que de l'écrire ou de la commenter."

 

Avocat infatigable

 

Enrôlé malgré lui parmi les historiens, dont il sait ignorer le métier, Cordier ne revendique qu'un sujet : "L'histoire des relations entre le général de Gaulle, Jean Moulin et les chefs des mouvements". Français libre et non résistant dans la posture : "Je reconnais avoir écrit contre la littérature résistante, qui ne connaissait pas la France libre et monopolisait le discours sur la Résistance depuis plus de trente ans. Le recours à l'histoire constitua pour moi l'arme d'un minoritaire."

 

Cordier, avocat infatigable de Moulin et de la France libre, historien, puis témoin, et aujourd'hui exégète d'une épopée secrète.

 

« De l'Histoire à l'histoire » par Daniel Cordier, avec Paulin Ismard

Gallimard, "Témoins", 160 pages, 15 euros

 

Source: http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/08/31/historien-par-accident-et-par-fidelite_3469284_3232.html