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Publié le 11 Décembre 2012

Je me souviens...

 

Par Talila

 

Prochain spectacle, le 17 décembre 2012, à 20h30, Salle Gaveau, 45-47 rue La Boétie 75008 Paris. Réserver une place en ligne

 

Je me souviens de la salle à manger dans l’appartement de la rue Truffaut, avec une table immense comme une arche, sous laquelle j’allais me réfugier et où je m’inventais des vies. J’y chantais les succès de l’époque, «Étoile des neiges », «Qu’il fait bon chez vous, maître Pierre », un florilège de la chanson française qui sentait bon le terroir et le travail bien fait, sur une scène idéale, devant un public imaginaire. 

 

Tout près, dans le gros meuble tourne-disque, étaient rangés comme des reliques du vieux monde des 78 tours yiddish qui me semblaient tristes et vieux dans leur vulgaire pochette de papier d’emballage, rescapés d’un naufrage. Les parents les écoutaient parfois, ils aimaient ces voix un peu pleurnichardes qui leur racontaient leur enfance, les rabbins qui enseignent l’alphabet, les coups de règle sur les doigts, les amours perdues.

 

La prière des morts, El mole rakhamim, et les noms des camps qui résonnaient, Auschwitz, Maidanek, Treblinka, par le h’azan Schlomo Katz, faisaient partie de la discothèque et s’élevaient dans une longue plainte déchirante qui me terrifiait et me fascinait par sa beauté tragique quand mon père posait le disque et pleurait.

 

Le long cortège des disparus entrait alors dans le petit appartement et venait bousculer mes rêves d’enfant. Je préférais «Les Lavandières du Portugal » et leurs battoirs ou «Cerisiers roses et pommiers blancs », chansons moins lourdes à porter; et puis quand on y pleurait c’était d’amour, les chagrins étaient plus petits, à ma taille.

 

Vinrent ensuite ceux qu’on appelle les  grands de la chanson, Brassens, Ferré, Brel, Barbara, que je n’avais plus l’âge de fredonner sous la table et qui accompagneraient l’adolescence inquiète et la jeunesse, sur des accords de guitare, comme il se doit.

 

Mais c’était sans compter avec d’autres mélodies qui allaient suivre les chemins détournés de ma mémoire, têtues et déterminées, se fichant de l’air du temps puisqu’elles l’avaient, le temps. En fait, c’était mon héritage, le seul, avec l’édredon rouge polonais et les vieilles photos : mes parents avaient pensé à tout, je ne serais pas démunie !

 

Je déroulerais un fil invisible entre ma douce grand-mère inconnue, qui chantait, dit-on, et moi; je lui offrirais un tendre et dernier refuge, tissé de mots et de mélodies qu’elle reconnaîtrait. Je lui dirais ainsi tout mon amour, tout ce qu’on ne peut dire autrement.

 

Prochain spectacle, le 17 décembre 2012, à 20h30, Salle Gaveau, 45-47 rue La Boétie 75008 Paris. Réserver une place en ligne