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Le vocable lui-même de « bioéthique » a été forgé, rappelle l'auteur, par Potter Van Rensselaer en 1971.
Le surgissement et, désormais l'envahissement sociétal, de l'éthique biomédicale, a connu diverses étapes-clés souvent liées à des conflits armés meurtriers. D'autres étapes ont été plus « scientifiques ». Ainsi la première transplantation cardiaque sur le patient Louis Washkansky par Christian Barnard au Cap en Afrique du Sud en 1967, la naissance d'un enfant, la petite Louise Brown en Angleterre par fécondation in vitro en 1978 , la création du Comité consultatif national d' Éthique en 1983, le contrôle des naissances, l'éventualité d'un mariage homosexuel...
Comment ne pas penser aussi à Laurent Lantiéri, qui, les 26 et 27 juin 2010, a réalisé sur Jérôme, un patient souffrant de neurofibromatose, une greffe totale du visage et à René Frydman qui, après Amandine, le premier bébé-éprouvette français, née le 24 février 1982, a mis au monde , en 1986, Sarah et Guillaume, les premiers bébés issus en France d'embryons congelés et en 2000, le petit Valentin, né après un diagnostic préimplantatoire destiné à éviter un risque hépatique important dans la famille du nouveau-né.
Si la question de la bioéthique passionne notre planète en 2012, l'auteur ne manque pas de rappeler que le sujet était déjà d'actualité dans la plus haute antiquité : depuis le fameux serment d'Hippocrate en passant par Salomon et son fameux jugement ou encore la situation de mère porteuse que fut en quelque sorte Agar pour Sarah et Abraham.
Dans le Talmud, déjà, d'ailleurs, bien avant Maïmonide, des sages juifs se sont penchés sur le cas étonnant d'une jeune vierge mise enceinte par le sperme de son propre père qui était resté en suspension dans un mikvé, bain rituel, mal récuré. Le statut de l'enfant né de cette manière inhabituelle eut ainsi à être défini au regard de la loi juive.
Les religions, bien entendu, ont leur mot à dire dans les débats qui ne manquent pas d'avoir lieu. Ainsi, à propos de l'embryon, l'auteur rappelle que si, pour le judaïsme, l'embryon est une personne humaine dès que l'on peut en distinguer la forme, le Coran, lui, fixe à trente ou quarante jours selon le sexe, la période nécessaire pour faire de l'embryon un être humain à part entière. Quant à la tradition chrétienne, elle est plus rigoureuse : dès la conception, l'embryon est un humain.
Dans le livre remarquable que nous propose Bernard Kanovitch, aucun sujet n'est oublié : statut et manipulations de l'embryon, greffes, mères porteuses, dons de gamètes, injections intracytoplasmiques de spermatozoïde, insémination post-mortem, clonage humain, dopage, décryptage du génome humain, conséquences de la loi Léonetti de 2005, soins palliatifs, dépistage prénatal et tri embryonnaire, enfants jetables, grossesses postménopausiques, vitrification des ovules, transmission du Sida, sexualité en prison...
Des cas extraordinaires nous sont rapportés tout au long du récit : les attendus de l'arrêt du 27 octobre 1995 de la commune de Morsang-sur-Orge à propos du « lancer de nains », le fameux arrêté « Nicolas Perruche », à propos d' un enfant né lourdement handicapé du fait que sa mère, enceinte, avait contracté une rubéole non diagnostiquée ou encore le « bébé du double espoir », le petit Umut-Talaha, né en France, par fécondation in vitro, au sein d'une famille d'origine turque, indemne de la bêta-thalassémie, une grave affection dont souffraient ses aînés et qui a pu ainsi jouer le rôle de « bébé-médicament ».
Des documents annexes particulièrement précieux comme la liste des 117 avis du CCNE complètent cet ouvrage incontournable pour qui s'intéresse à la question. Passionnant !
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Odile Jacob. Octobre 2012. 190 pages. 23,90 euros.