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Publié le 5 Décembre 2012

L’ombre de Marcion, Le retour en grâce de l’intégrisme dans l’Eglise

Un nouveau livre de Gérard Israël

 

Le prince des hérétiques ; le fils aîné de Satan ; tels furent les qualificatifs dont fut affublé Marcion, ce théologien né chrétien, en Asie mineure, au deuxième siècle. A cette époque le Canon de l’Eglise n’était pas très structuré au point que chacun pouvait, en toute bonne foi, avancer des idées nouvelles vite transformées en principes fondamentaux.

Marcion, quant à lui s’engagea ardemment dans cette voie. Pourtant le fils de l’évêque de Sinope, sa ville natale, proclamait que le christianisme naissant était une religion sans rapport avec les idées religieuses qui l’avaient précédé et en premier avec ce qu’il appelait l’Ancien Testament. Ainsi, selon lui, le christianisme devait renoncer à intégrer les idées fondamentales de la religion de Moïse exprimées par la parole des prophètes ; le chant des psaumes ; les livres de sagesse qui constituaient l’essentiel de l’Ancien testament.

 

Marcion enseignait que rien ne devait altérer la pureté originale de l’idée chrétienne.

 

Ainsi le Dieu d’Israël ne pouvait être celui que Jésus appelait son Père lequel ne pouvait non plus être le créateur du Ciel  et de la terre, ce qui aurait signifié qu’il eût commerce avec la nature, impure en soi, ni même créer l’être humain ce qui aurait équivalu à créer la faute et le péché.

 

Marcion eut l’audace d’aller exposer ses thèses devant la Grande Eglise, à Rome. Relativement bien accueilli par des communautés existantes, il ne tarda pas à être excommunié et dû quitter Rome.

 

Pour autant les thèses de Marcion ne tombèrent pas en déshérence au point que, pendant au moins deux siècles des églises marcionniennes furent actives dans l’Empire parallèlement à la religion de Rome.

 

Il a fallu attendre le vingtième siècle pour qu’une sorte de renouveau des thèses de Marcion se produisît.

 

C’est en Allemagne où en 1920 qu’un théologien protestant Adolf Von Harnack, rendit d’actualité les Antithèses de l’homme de Sinope en écrivant un ouvrage : « Marcion ou l’Evangile du Dieu étranger », affirmant que le récit évangélique avait été « adultéré » en particulier par des Rabbis et leurs disciples, de manière à en faire, pour l’essentiel, une production de la religion hébraïque.

 

A cette même époque, à  l’heure où l’Allemagne n’allait pas tarder à sombrer dans le nazisme, ces thèses tombaient à pic. Exclure l’Ancien Testament de la tradition chrétienne apparaissait comme une conséquence naturelle de la pensée totalitaire propre à l’hitlérisme.

 

Un juriste allemand théologien, Carl Schmitt, n’hésitait pas à écrire que le christianisme consistait dans ses profondeurs à rechercher « l’ennemi » lequel ne pouvait être que …le juif.

 

De nos jours, les Antithèses de Marcion ne laissent pas indifférents et la question se pose peut-être de savoir si ceux qu’on appelle les intégristes catholiques qui sont hostiles à la relation interreligieuse telle que voulue par le Concile Vatican II et par quatre papes successifs, ne trouvent pas en Marcion, sans l’avouer, un soutien théologique à leur propre dissidence ; négligeant la parole du Pape Benoît XVI : « Sans l’Ancien Testament, le christianisme serait indéchiffrable ».

 

S.D.

 

« L’ombre de Marcion » Payot Editeurs (Octobre 2012 )