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Le but, trouver les moyens de réconcilier Juifs et Arabes, Israéliens et Palestiniens, à travers la filiation commune, à savoir le patriarche Abraham-Ibrahim, est, a priori, louable. Certains propos de l'auteur, relevés çà et là, sont encourageants : « La réconciliation judéo-musulmane représentait et représente toujours pour moi un horizon, une vocation à laquelle je souhaiterais consacrer ma vie », « Aujourd'hui, les femmes israéliennes, très émancipées, jouent un rôle fondamental dans la vie juive et ont un rôle à jouer à part entière dans l'avenir de l'État d'Israël », « Aujourd'hui, Haïfa est une cité multiculturelle et multiconfessionnelle, où coexistent pacifiquement des citoyens israéliens, juifs, musulmans, chrétiens et druzes... ». « C'est triste à dire, mais je ne peux m'empêcher de penser qu'aujourd'hui Israël est peut-être le seul pays au monde où des Arabes peuvent élire des Arabes, en toute transparence, selon un processus réellement démocratique », « En quittant le Mur, je vois un jeune Juif priant très intensément. Sa ferveur me rappelle la mienne. Je vois à quel point c'est mon frère. J'espère que ses prières seront exaucées, tout comme les miennes »...
Mais, régulièrement, le ton change et l'on a l'impression qu'Ismaël Ibn El Khalil laisse transparaître sa nette préférence pour ses « frères » palestiniens et sa désapprobation d'Israël : « Au Maroc, les enfants ont très rarement des armes comme jouets, tout au plus des pistolets à eau pour se rafraîchir pendant l'été. Les petits Israéliens, en guise de jeu du « policier qui chasse les voleurs », doivent jouer au jeu « des Israéliens qui chassent les Palestiniens... » Il note un jour dans le discours de son ami Shlomo : « Pas un mot concernant la souffrance des milliers de Palestiniens, privés de travail, de nourriture, de soins, d'éducation, d'avenir...Pas un mot sur les milliers de morts et les milliers de familles en deuil... » et lui rétorque : « Shlomo, ne comprends-tu pas que les soldats israéliens qui ont eu pour instruction de tuer des milliers de petits enfants palestiniens depuis des décennies, sont perçus par les musulmans, mais aussi par une grande partie des citoyens du monde, comme des juifs tueurs de petits enfants musulmans vulnérables, qu'un État hors-la-loi, implacable et inhumain a autorisé à tuer... ». Ailleurs, on peut lire : « Les dirigeants israéliens forcent aujourd'hui les enfants du peuple juif à adopter des comportements d'humiliation, d'atteinte à la dignité, de négation des libertés fondamentales des hommes vivant à leur porte. Ces agissements ne peuvent être qualifiés autrement que d'immoraux et d'inhumains. Indignes du peuple juif ! ...Pour pouvoir se reprendre, les Juifs d'Israël doivent rompre avec l'idéologie belliqueuse dominante dans le pays ». Ou encore : « Pourquoi aller chercher les causes du récent antijudaïsme arabe, alors qu'il n'est autre que le fruit des excès quotidiens et répétés de Tsahal... » Les jugements à l'emporte-pièce se succèdent : « Israël reconstitue finalement un ghetto au cœur du monde arabe ; un ghetto surarmé. Une démocratie peut-être, mais enviable pour autant ?! ». « Cet État juif est, en plus, venu se loger au cœur des pays arabes, sans leur demander leur avis ». Dans une rêverie à laquelle il se laisse aller sur un banc à Haïfa, El Khalil se dit que « Sur cette terre, pendant près de treize siècles les hommes de l'islam ont marqué une présence humble et discrète. Sur cette bande de terre côtière, prise entre la mer Méditerranée, vert émeraude, et les déserts ocre du Proche-Orient, des hommes menaient leur vie sereinement, cultivant leur foi, construisant des mosquées à taille humaine, dont les minarets dépassaient à peine la hauteur des palmiers ». Et, brusquement, patatras. En contrepoint de cette vision pour le moins idyllique de la Palestine arabe, le rêve reprend, devenant un cauchemar : « Soudain, voilà un peu plus d'un demi-siècle, un peuple agile, habile et industrieux, qui avait quitté cette terre il y a près de deux mille ans, et qui avait été disséminé depuis vingt siècles dans toutes les contrées du monde où il était honni et malmené, est revenu tout aussi brutalement pour s'y réinstaller. À force de travail , d'intelligence, de détermination et d'agressivité, ce peuple a fait de cette bande de terre endormie, une terre sur laquelle la vie ressemble aux rêves. Ces nouveaux hommes, sûrs d'eux-mêmes ( et dominateurs? JPA) ont cultivé de nouveaux dieux pour lesquels ils sacrifient leurs vies, lancent dans le ciel de nouvelles tours de Babel, véritables totems à la gloire de leur puissance. Ces hommes n'ont aucun égard envers ce qui s'est joué sur cette terre pendant leur absence et soumettent les peuples qu'ils y ont trouvé, et qui essayent de résister à cette invasion inattendue et oppressive, aux pires traitements, à défaut de pouvoir les en effacer ». Pour évoquer les événements tragiques de Sabra et Chatila, l'auteur reprend l'analyse du site de France-Palestine, avec ce titre mensonger : « Sabra et Chatila : le massacre inoubliable, impardonnable des Israéliens contre des Palestiniens ». El Khalil met régulièrement l'accent sur les massacres supposés de Palestiniens par des Israéliens. A-t-il entendu parler, entre autres, de l'assassinat , à Itamar, le 11 mars 2011, des cinq membres de la famille Vogel, un couple et trois de leurs enfants dont un bébé ?
L'auteur, au passage, trouve très à propos la boutade « Qu'est-ce qu'un Juif sioniste ? C'est un Juif qui, avec l'argent d'un autre Juif, essaie d'envoyer le fils d'un troisième Juif s'installer en Israël ».
Parmi ses références, on ne sera donc pas surpris de trouver des citations de Noam Chomsky, de Leïla Shahid, Elias Sanbar ou encore Mahmoud Darwich. Sans oublier une interview de Sari Nusseibeh.
L'auteur, par ailleurs, a composé un questionnaire qu'il soumet à différents interlocuteurs au cours de son périple. Ce questionnaire est répété sans cesse tout au long de l'ouvrage d'où une certaine lourdeur.
Enfin, cerise sur le gâteau (si l'on peut dire!), au moment où l'on pense que ce récit de voyage s'achève, l'auteur se lance dans un chapitre de politique fiction. Nous sommes en 2019 et une pasionaria israélienne, Golda Weizman, de père russe et de mère marocaine, « appelle les citoyens juifs israéliens à la désobéissance civile, et les citoyens arabes israéliens et palestiniens à la résistance non violente ». Le discours de madame Weizman est sans ambiguïté : « Il est fini le temps où nous anesthésiions nos consciences, où nous considérions les Palestiniens comme des sous-hommes que des snipers bien entraînés et bien protégés peuvent tuer à volonté. Il est fini le temps où les autorités israéliennes adoptaient une politique inavouée d'absolution, de compromis et de modération envers les Israéliens qui humiliaient, écrasaient et déshumanisaient les Palestiniens. Qu'avons-nous fait de l'enseignement de la Torah ? Les sionistes en ont vendu les versets à vil prix... » Le discours séduit et, en 2023, Golda Weizman devient Premier ministre. Elle est réélue en 2028. En 2032, l'idée d'un État fédéral palestinien est lancée puis celle d'un État supranational avec pour capitale Jérusalem/Al Qods. En 2038, Marouane Barghouti devient le Premier Président de la Palestine. En 2052, Golda Weizman et Marouane Barghouti, en tant qu'initiateurs du nouvel État du Proche-Orient dénommé Eretz Avraham, Ard El-Khalil auquel se joindra, en 2053, la Jordanie, reçoivent à Oslo, le prix Nobel de la Paix. Le rêve de ceux qui voudraient dissoudre et noyer l'État juif dans un océan arabe, rêve dont l'auteur ne cache pas qu'il a sa préférence, est réalisé. Il va sans dire qu'un tel scénario marquerait la fin du sionisme et du retour du peuple juif à l'indépendance si chèrement acquise en 1948.
Un volumineux cahier photographique achève ce livre qui laisse le lecteur sur sa faim, à la fois intrigué, perplexe et inquiet
(*) Éditions Auteurs du Monde. Préface de Shlomo Aziz. Janvier 2014. 408 pages. 19 euros