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Mais jamais, au grand jamais, ma génération ne s'est trouvée confrontée aux coplas espagnoles, encore moins aux haïkus japonais.
J'ai croisé ma première et unique copla à l'âge adulte lors d'un séjour en Espagne et, depuis, elle me trotte dans la tête :
« Dos besos hay en el mundo
qué non se apartan de mi
El ultimo de mi madre
Y el primero qué te di »
(il n'y a que deux baisers au monde que je ne saurais oublier : le dernier de ma mère et le premier que tu me donnas).
C'est pourquoi, c'est avec étonnement que je découvre que le grand Albert Memmi, certes de vingt ans mon aîné, le chef de file de la littérature juive de Tunisie, l'auteur de dizaines d'ouvrages fondamentaux, notamment « La statue de sel » (1) , « Agar »(2), « Portrait d'un Juif » (3) et « Portrait du colonisé » (4), retrouvait régulièrement, adolescent, ses amis à Tunis, juifs et non juifs, dont l'un, Luis Gomez, était catalan, en fin d'après-midi, dans un petit square de l'avenue de Paris, pour une séance de coplas. Ces coplas, essentiellement à caractère amoureux, ont été pieusement recueillies par l'auteur et traduites en français, parfois en dérogeant au principe des trois à cinq vers. Cela nous donne un recueil d'une fraîcheur étonnante où chacun pourra éventuellement puiser l'inspiration nécessaire à la rédaction d'un message amoureux.
Ainsi, parmi des centaines :
Jouvence
« À la saison nouvelle
le jardin refleurit
Si tu me prêtes vie,
j'aurais toujours vingt ans »
L'inspiration biblique n'est pas absente de ce florilège :
Ma vérité
« Le Pentateuque a dit
Ève est sortie d'Adam
autre et la vérité
je suis sorti de toi » ou encore
La lumière
« Ainsi Dieu aurait dit
Que la lumière soit
et la lumière fut
Parfois je me sens Dieu
puisque vous êtes là ».
et :
Le ciel
On dit dans la Cabale
que femme égale trois
hommes, dépasse quatre,
mais homme et femme ensemble
font le chiffre du ciel
Les relations entre les trois religions monothéistes font une intrusion remarquée et inattendue dans cet ensemble plutôt tourné vers l'amour charnel.
Aide
Les chrétiens ont le Christ
les musulmans Allah
les Hébreux Jévovah
lorsque j'ai besoin d'aide
je murmure ton nom
et aussi :
Le jour de fête
Chacun a son jour de fête
Les juifs c'est le samedi
les chrétiens ont le dimanche
les musulmans vendredi
Pour moi, c'est tous les jeudis
quand tu sors du pensionnat
173 petits textes savoureux.
Décidément, on n'a pas fini de découvrir des facettes inconnues du judaïsme tunisien. Étonnant et rafraîchissant.
Notes :
(*) Éditions Alain Gorius. Avril 2013. Gravures d'Anick Butré. 108 pages. 16 euros
(1) Éditions Corréa, 1953.
(2) Éditions Corréa, 1955.
(3) Éditions Gallimard, 1962-1966.
(4) Éditions Corréa, 1957.