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Publié le 23 Janvier 2013

Sandrine Szwarc : « Les intellectuels juifs sont apparus après la Shoah »

 

Docteur en histoire moderne et contemporaine, bien connue des lecteurs d'« Actualité Juive » dont elle dirige les pages Culture et Régions, Sandrine Szwarc publie une réflexion inédite sur le renouveau de la culture et de la pensée juive après la Shoah.

 

Actualité Juive : Parlons de votre rôle au sein d'Actualité Juive. À la fin de votre ouvrage, vous avez tenu à remercier Serge Benattar (za’l) et Lydia Benattar... 

 

Sandrine Szwarc : Les lecteurs connaissent ma plume dans le journal. Mais ils ne savent pas que j'ai par ailleurs une formation d'historienne et que j'ai obtenu un doctorat à l'École Pratique des hautes études, sur le renouveau de la pensée juive après la Shoah. J'ai pu mener ces études tout en travaillant au journal où je suis entrée comme stagiaire. Progressivement, monsieur Benattar m'a laissé les rênes de la rubrique « Culture », à temps partiel pour me permettre de poursuivre mes recherches. Ma fonction d'historienne m'a permis d'apporter une petite plus-value aux pages «Culture» et inversement, mes responsabilités m'ont donné un accès illimité à l'actualité culturelle. Il était donc fondamental que je remercie monsieur Benattar et, par votre entremise, madame Benattar qui poursuit son oeuvre, à la direction du journal.

 

Le livre reprend le sujet de votre thèse. Quelle en fut la motivation ?

 

L’un de mes grands-pères a été déporté. Dans la famille, personne n'avait jamais parlé de ce «chaînon manquant». Je travaillais sur la Shoah lorsque j'ai dû choisir un sujet de maîtrise. J'avais fait des recherches, interrogé un oncle et progressivement, je suis parvenue à faire resurgir l'histoire familiale. J'ai alors décidé de réfléchir à ce qui s'était passé après la « catastrophe » et j'ai découvert un foisonnement culturel intense, notamment en France. Ce fut le point de départ de ma thèse : que s'était-il passé après la Shoah ? À quoi tenait ce renouveau de la pensée juive ?

 

Pourquoi la création du Colloque des intellectuels juifs dont votre livre nous renseigne sur la genèse, révolution et la « cuisine interne » relevait-elle d'un défi ?

 

L'idée initiale était de redonner ses lettres de noblesse à une culture que le nazisme avait tenté d'exterminer. Selon Éliane Amado Lévy-Valensi, citée par Edmond Fleg, il s'agissait de tenter des Juifs «perplexes» et de montrer que le judaïsme était un élément important de l'universel, qu'il pouvait être le point de départ de toute réflexion et surtout, qu'il pouvait, à partir des Textes, apporter des solutions aux questionnements du moment.

 

Son but était aussi de réconcilier avec leurs traditions, des intellectuels français formés à l'université...

 

Ils étaient les enfants perdus du judaïsme. Jusque-là, les intellectuels s'exprimaient sur des causes ne relevant pas du judaïsme. Après la Shoah, ils ont tenté de s'exprimer sur ces sujets. C'est la raison pour laquelle ma thèse dont je pense - et j'espère - qu'elle suscitera le débat, soutient que les intellectuels juifs n'existent que dans l'après-Shoah.

 

Autre dimension importante : «l'ouverture»...

 

Le Colloque accueillait toutes les facettes du monde juif : des pratiquants ou non, des sionistes, des non-sionistes, des gens marqués politiquement à gauche, à droite, des Ashkénazes et des Séfarades. Il faut aussi noter la présence de penseurs chrétiens et d'intellectuels israéliens. Les interventions et les questions consignées dans les Actes montrent que la richesse des échanges d'idées se retrouvait également dans le public.

 

La préface est signée du Grand Rabbin de France...

 

Je ne pouvais rêver mieux puisqu'il a été l'un des acteurs principaux du Colloque. Pour moi, il incarne à merveille cet intellectuel juif, grand connaisseur des sources juives versé dans la philosophie. Sa préface est un honneur et un cadeau.

 

Les questions que votre réflexion suscite ne montrent-elles pas que ce livre n'est pas dédié aux seuls «intellectuels» mais qu'il interpelle, lui aussi, chacun d'entre nous dans son rapport quotidien au monde et au judaïsme ?

 

L'idée était de vulgariser une thèse de doctorat et d'ouvrir le débat. J'espère que ce livre suscitera d'autres ouvrages et une réflexion sur le rôle des intellectuels, ces éclaireurs de conscience et sur la façon dont, au quotidien, ils peuvent nous apporter des éléments de réponse à des problèmes très concrets qui se posent, aussi bien au niveau du judaïsme que de l'universel.

 

Propos recueillis par Carol Binder, publiés dans le N° 1239 d’Actualité Juive du 10 janvier 2013.

 

Le livre : Cette réflexion inédite reprend le sujet de la thèse de doctorat que l'auteur, Sandrine Szwarc, avait soutenue en 2005, sur le renouveau de la pensée juive après la tentative d'extermination du judaïsme. Ainsi, universitaires, philosophes, historiens, écrivains et rabbins avaient-ils cherché à mettre en mots et à redéfinir leur appartenance au judaïsme, à travers l'École de pensée juive de Paris dont l'École d'Orsay et le Colloque des intellectuels juifs de langue française, objet de cette étude, furent le fructueux prolongement. Ce livre qui convoque un casting impressionnant de grands penseurs juifs ayant participé aux différentes rencontres nous donne à saisir l'évolution de la définition, des préoccupations et de la responsabilité de «l'intellectuel juif» invité, au fil des Colloques, à débattre des thèmes liés à l'actualité, à la lumière des textes sacrés. Bien au-delà de l'historique, au demeurant passionnant, d'un évènement qui fut, de sa création à son déclin, un formidable laboratoire de pensée, cet ouvrage, fruit de longues et minutieuses recherches, invite chacun d'entre nous à questionner, en prenant appui sur les sujets qui furent abordés, son propre rapport au inonde et au judaïsme.

 

Sandrine Srwarc, « Les intellectuels juifs de 1945 à nos Jours», Le Bord de l'eau, coll. Clair & Net, dirigée par Antoine Spire, 260 pages, 20€.