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Comparé au reste du monde, Israël, si l'on en croit l'auteur, c'est l'enfer : « Le coût de la vie est plus élevé en Israël qu'en France ou aux États-Unis ; les protections médicales et sociales plus sûres en Italie et au Danemark. Nulle part ailleurs, sous aucune autre latitude, dans aucun autre pays d'immigration, on ne sent autant l'envie de plier bagage et de partir ». Bref, « La colonisation juive de la terre d'Israël - pour légitime qu'elle soit - n'a pas su se garder contre nombre de travers du colonialisme qui risquent de se retourner contre elle : la rature des décors, la ségrégation des populations, l'exploitation des couches populaires, locales ou importées, le trucage de récits controversés... »
Même Tel-Aviv, ville à laquelle il déclarait il y a quelques années son amour infini, lui consacrant un bel ouvrage (1) est à présent vouée aux gémonies : « ... on se demande comment une ville aussi discordante, enchevêtrement de quartiers qui se chevauchent, grise et déteinte, peut décemment se prétendre blanche alors qu'elle est sale, se croire mondiale alors qu'elle est provinciale, se croire cosmopolite alors qu'elle est piteusement nationale, se croire éternelle -Ir Olam- alors qu'elle est éphémère ».
La Diaspora n'échappe pas non plus au doigt vengeur de Bouganim. Les Juifs des États-Unis « sont davantage des otages d'Israël que ses partisans », ceux de France, eux, « n'ont recouvré leur judéité que pour basculer, par-ci, par-là, dans un judéo-centrisme plus rebutant que séduisant ». Seuls les Juifs italiens sont quelque peu épargnés, car « leur communauté reste discrète et digne ».
À en croire Ami Bouganim, les Juifs ne sont plus en danger en Diaspora et leur maintien en exil constitue une forme de garantie pour la survie d'Israël.
Comme l'auteur en a visiblement après tout le monde, il n'épargne pas les dirigeants israéliens de tous bords. Ainsi, Shimon Peres est sévèrement critiqué pour son attitude face à la Turquie. « J'en veux pour preuve la rencontre de Davos en 2009. Le président de l'État-le plus sage, le plus cultivé, le plus...intouchable des hommes-s'est autorisé du prestige de ses quatre-vingt-cinq ans pour morigéner de sa voix braillarde de militant travailliste, le Premier ministre turc. Devant les caméras du monde entier. Pour l'on ne sait quelles attaques, justifiées ou injustifiées contre l'offensive israélienne à Gaza …C'était ridicule ; c'était hallucinant... ».
Les déclarations intolérables du Premier ministre turc , Recep Tayyip Erdogan au Forum de l'ONU à Vienne, le 1er mars dernier, selon lequel « Le sionisme est un crime contre l'humanité » viennent, n'en déplaise à Bouganim, confirmer l'intuition qu'avait Shimon Peres d'une orientation dangereuse de la position turque vis-à-vis d'Israël. Et les récents développements, dans le sens d'un apaisement des relations israélo-turques, dont on ne peut que se féliciter, ne changent rien à ce qui a été dit et fait.
Que s'est-il passé dans la tête d'Ami Bouganim, jusqu'ici modéré dans ses analyses et dans ses textes ? Cherchons à comprendre :
Il m'est arrivé de dire qu' Ami Bouganim est le prince des éclectiques (2). Ce touche-à-tout génial, tantôt peintre inspiré et nostalgique du mellah marocain du temps de sa gloire, tantôt biographe de personnages du monde politique ou littéraire, tantôt pédagogue averti ou encore philosophe voire « guide touristique » était jusqu'ici sans reproches. Il avait tout exploré ou presque et, comme il n'avait plus d'autre piste, voilà qu'avec son essai au titre insolent, il se lance dans un nouveau genre : la provocation. Car c'est bien de provocation qu'il s'agit !
Ami Bouganim ajoute une corde à son arc : provocateur. Il veut relancer le débat, réveiller les consciences, sortir de sa torpeur et de sa léthargie un peuple juif qui s'endort sur ses lauriers sionistes. N'oublions pas qu'il a la prudence de préciser, au début de son ouvrage : « Je ne souhaite pas la disparition d'Israël. Parce que l'épopée sioniste et israélienne a bercé ma vie, que j'adhère à ses desseins politiques et à ses vocations prophétiques et que sans elle ma vie aurait été moins passionnante ». Ou encore : « Israël reste l'une des plus belles réalisations politiques du XXe siècle ».
Cela dit, force nous est de constater que l'on retient surtout de l'ouvrage la critique virulente de l' Israël d'aujourd'hui. Si l'intention d'Ami Bouganim était de nous énerver, c'est réussi !
Et comme si cela ne lui suffisait pas de nous avoir asséné ses coups de massue, voilà qu'en fin d'ouvrage, il abandonne son bâton de justicier pour celui de pèlerin et se lance dans une analyse théologique. Pour lui , « C'est bel et bien une guerre de religion qui divise Israéliens et Palestiniens et c'est Jérusalem, sa Vieille Ville et son mont du Temple qui en sont l'enjeu ».
Toujours en fin d'ouvrage, Ami Bouganim en vient à proposer une solution pour que survive Israël , une solution qui n'est pas sans rappeler la fameuse « option jordanienne » et qui verrait « le couple princier exilé à Cannes, installé sur le trône de l'Arabie saoudite ou placé à la tête de la principauté de Pétra ou d'Akaba ». Avec, of course, un partage administratif de Jérusalem...
Pour nous rassurer un tant soit peu, l'auteur nous avertit que selon lui, « La disparition d'Israël ne marquera ni la fin du judaïsme ni celle du peuple juif ». Piètre consolation !
Un lexique bien documenté est proposé pour clore cet ouvrage qui, on l'aura compris, est à lire par petites doses, à avaler par légères gorgées afin de ne pas s'étrangler et pour ne pas défaillir sous le choc des phrases provocatrices et assassines de l'auteur.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions du Seuil. Septembre 2012. 320 pages. 17,50 euros.
(1) « Tel-Aviv sans répit ». Éditions Autrement, 2009. Voir notre recension dans la Newsletter du 26-10-2009.
(2) Voir le numéro 9 de la revue « Continuum » et notre recension dans la Newsletter du CRIF en date du 23-11-2012.