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Publié le 5 Novembre 2014

Zeruya Shalev, prix Femina étranger 2014 : "Je ne quitterai pas Israël"

Propos recueillis par Didier Jacob, entretien publié dans le Nouvel Observateur le 3 novembre 2014

Dix ans après avoir survécu à un attentat-suicide, la romancière israélienne publie un livre majeur sur l'amour et la famille. Entretien.

Vous avez été victime d'un attentat alors que vous écriviez votre précédent livre. Cet événement, qui a bouleversé votre vie, a-t-il influé sur la conception de votre nouveau roman ?

Zeruya Shalev : J'étais en train d'écrire «Thèra» quand j'ai été blessée. Le jour où j'ai été enfin capable de le reprendre, six mois plus tard, j'ai terminé la phrase qui avait été brutalement interrompue. Mais le livre n'a pas changé. J'avais encore toute la construction dans ma tête. Mon nouveau roman a, en revanche, été conçu dans ces longs moments d'immobilisation forcée, alors que j'étais sur mon lit, occupée seulement à penser. Quand je décris cette femme âgée qui va mourir, c'est un peu moi qui suis sur ce lit et me remets lentement de mes blessures.

D'autres éléments, dans le livre, font-ils écho à votre vie ?

Oui, toute l'histoire de l'adoption. La fille de Hemda, Dina, a un caractère très différent du mien, mais elle choisit d'adopter un enfant, une expérience que j'ai moi-même vécue. Avant, je n'y avais jamais songé. Pendant cette longue période de récupération, j'ai beaucoup pensé au temps qui me restait à vivre. Je ne pouvais imaginer qu'après m'être retrouvée de manière inattendue dans l'intimité de la mort la vie resterait la même. Qu'est-ce que je devais changer à mon existence ? C'est le genre de questions que je me posais. Il devait y avoir quelque chose de nouveau. Et j'ai voulu donner la vie. J'ai voulu vivre l'inverse de ce que j'avais vécu - qui touchait au mal. Je voulais le bien.

Il y a toujours beaucoup de souffrance dans vos livres. Cette souffrance est-elle en vous, ou est-ce de voir vivre les gens autour de vous qui l'inspire ?

Probablement les deux. Je me souviens que dès l'âge de 6 ans, j'écrivais des poèmes très tristes. Je les montrais à ma mère et elle s'en plaignait: «Pourquoi tes poèmes sont-ils si sombres ? Qu'y a-t-il de triste en toi ?» Elle se sentait presque coupable de me voir ainsi. En fait, j'étais consciente, dès mon plus jeune âge, de pouvoir tout perdre en quelques secondes. L'anxiété venait de là, du sentiment de la fragilité de l'existence. Et, aujourd'hui encore, je pense que tout peut disparaître demain.

Il est certain que la situation en Israël a beaucoup joué. C'était effrayant à l'époque, avant la guerre de 1967. Nous habitions près de la frontière avec la Jordanie. Il y avait des fusillades toutes les nuits, nous devions courir dans les abris. Pendant la guerre de 1967, nous avons dû rester dans un abri pendant six jours sans savoir ce qui se passait à l'extérieur. Au fond, j'ai grandi avec la fatalité de la guerre, une menace qui planait au-dessus de moi en permanence… Lire la suite.

http://bibliobs.nouvelobs.com/sur-le-sentier-des-prix/20141103.OBS3939/zeruya-shalev-prix-femina-etranger-2014-je-ne-quitterai-pas-israel.html

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