Jean Pierre Allali

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Lectures de Jean-Pierre Allali - Fragments d'exil : Les carnets d’un émigré (1914-1946), par Alain Sobel

07 Mai 2019 | 127 vue(s)
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Fragments d'exil : Les carnets d’un émigré (1914-1946), par Alain Sobel* 

Le professeur Alain Sobel, spécialiste d’immunochimie théorique, a présidé le Conseil National du Sida. Dans ce beau roman qui a nécessité plusieurs voyages de l’auteur à l’étranger, nous est contée la saga d’une famille juive d’Europe Centrale. L’ouvrage est divisé en trois parties qui sont autant de lieux de l’action : Zsibo, Paris et Dreux, chaque partie étant découpée en dates, de 1914 à 1946.

Tout commence un dimanche 28 juin 1914 à Zsibo, en Transylvanie ( Erdély en hongrois ), un village actuellement situé en Roumanie. Zsibo : 4000 âmes dont 800 Juifs. Parmi eux, la famille Grosz. Andor, le père, petit commerçant, tient une boutique et son épouse, Ilunka, s’occupe du potager et de la marche de la maisonnée. Cinq enfants, Margit, Moricz, Sanyi, Adèl et Piroska. Plus tard, en juin 1915, naîtra Laszlo dit Laci  . Plus tard encore, en 1919, verront le jour deux jumeaux, Pal et Tibor. Une famille nombreuse, donc, de huit enfants. Sans oublier les grands-parents maternels, Herman et Berta, qui tiennent un hôtel-bar, le Korzo et la jeune tante, Kato. Une vie tranquille à peine troublée par un antisémitisme latent. Quand, soudain, tout bascule : l’archiduc Franz-Ferdinand est assassiné à Sarajevo. C’est la Guerre ! Andor est mobilisé et la famille va vivre au rythme des courriers parcimonieux qu’il adresse à sa famille jusqu’à sa démobilisation.

Avec le départ du père, c’est Moricz, alias Mozes, dit Mor, huit ans et son grand-père, Herman, qui prennent la « direction » de la famille.

Le 1er juillet 1920, désormais sous la coupe de la Roumanie, Zsibo, est dénommée à présent Jibou et Mor devient Mauritiu. La famille, peu à peu, explose et nombre de ses membres vont rejoindre l’Amérique, la Palestine ou la France

Pour sa part, Mor, qui a toujours admiré le médecin de famille, le Dr Brüll, envisage de devenir à son tour médecin. C’est à Paris qu’il va se lancer dans la carrière. Paris où il débarque le 8 octobre 1925. Paris où il est désormais Maurice Gros. L’Hôtel-Dieu, le Quartier Latin, Montparnasse,  la fréquentation de nombreux peintres, photographes et intellectuels, les premières amours. Paris parallèlement à Dreux où il installera son jeune frère Pal qui sera Paul.

Le 16 juin 1934, Maurice Gros est enfin docteur en médecine et, le 14 novembre 1934, le voilà chef de service du laboratoire d’électroradiologie de Dreux. Il a 28 ans.

En 1936, les sœurs de Maurice, Adèl et Piroska, rejoignent à leur tour la France où elles se marieront rapidement. Leur frère Sanyi, en phase terminale de tuberculose, viendra lui aussi se faire soigner à Paris où il décédera, peu après que Maurice ait, à son tour, convolé en justes noces avec la belle Suzanne, le 9 novembre 1937. Un garçon, Jean-Pierre, naîtra en 1938. Plus tard viendra au monde la petite Agathe. Et, en 1943, un deuxième garçon. Partout, en Europe, montent des bruits de bottes. Tandis que les réfugiés espagnols arrivent en France par milliers, la menace hitlérienne se fait pressante. Quand la Guerre éclate, Maurice, bien qu’étranger, est volontaire. Il sera blessé, obtiendra la Croix de Guerre. Cela n’empêchera pas le Statut des Juifs de chercher à l’écarter de la profession. En vain. Les Gros choisiront de ne pas se déclarer comme Juifs et de ne pas porter l’infamante étoile jaune. La Libération, enfin avec des nouvelles tragiques venues de Zsibo. Le récit s’achève en 1946 avec le départ, pour la petite famille, d’une nouvelle vie.

C’est une belle histoire, un très beau roman. À découvrir !

Jean-Pierre Allali

 

(*) Éditions Le Bord de l’Eau. Préface de Philippe Artières. Août 2018. 264 pages. 20 €.