Jean-Pierre Allali
Histoire des Juifs : Un voyage en 80 dates de l’Antiquité à nos jours (*)
Écrire l’histoire d’un peuple à la trajectoire millénaire rendue diverse par la tragédie de l’exil et de la dispersion n’est pas une mince affaire. De grands historiens s’y sont attelés tels Simon Doubnov (1860-1941) avec son « œuvre monumentale : « Histoire universelle du peuple juif » (Dix volumes. Éditions Payot, 1933) ou Cecil Roth (1899-1970) auteur d’une « Histoire du peuple juif » (Éditions de La Terre Retrouvée, 1963).
Le livre qui nous est proposé ici est un travail collectif, une réunion de textes dus aux plumes de plusieurs dizaines de contributeurs. Le principe éditorial a été de sélectionner 80 dates et, dès lors, 80 événements, pour nous conter la saga du peuple juif. Cela conduit inévitablement à des choix, donc à des oublis dont les auteurs sont pleinement conscients en écrivant en introduction : « Bien sûr, quelques dizaines de dates ne suffisent pas à couvrit trois mille ans d’histoire. On priera le lecteur d’excuser les absents, ou, plutôt, de nous excuser de ne pas les avoir conviés. Sans doute aurait-on pu s’attendre à trouver une notice sur Ezra le Scribe ou les pirates juifs des Caraïbes, sur la vie au mellah ou Rosa Luxemburg, sur l’opération Entebbe ou Gracia Mendes Nasi, et sur bien d’autres personnes, thèmes, objets, lieux, œuvres… ».
Plusieurs communautés sont abordées : Espagne, Italie, Allemagne, Autriche-Hongrie, Pologne, URSS, Angleterre, États-Unis, Chine, Égypte, Irak. Et si on évoque les Juifs d’Algérie, notamment à propos du fameux Décret Crémieux (Laure Blévis) et de la disparition des communautés juives de ce pays (Yann Scioldo-Zürcher), on ne trouve pratiquement rien sur les autres Juifs d’Afrique du Nord. Rien non plus ou presque sur les Juifs noirs, les Falashas d’Éthiopie, les Hébreux Noirs, les crypto-juifs d’Afrique, les Juifs de Grèce, ceux d’Amérique latine mis à part l’Argentine, ceux du Japon où vivent les fameux « Makuyas », ceux des Indes ou encore sur les Pathans d’Afghanistan. Et j’en passe…
Moi-même, qui suis un passionné de l’histoire des Juifs de Tunisie (1), je me suis posé la question : qu’en est-il de ce sujet dans ce livre ? Eh bien, tout simplement, comme signalé plus haut, pratiquement rien.
Plus logiquement, ce livre aurait dû s’intituler : « Histoires des Juifs » voire « Histoires de Juifs ». Mais ne boudons pas notre plaisir et savourons les épisodes proposés.
On se penchera avec bonheur sur « La fin du royaume de Juda » (Matthieu Richelle), les exploits de Judas Maccabée (Michaël Girardin), La mort de Jésus (Pier Luigi Lanfranchi), La destruction du Second Temple (Katell Berthelot).
Ou encore sur : Le royaume des Khazars (Pierre Savy) ,l’Affaire Dreyfus (Vincent Duclert), le Premier Congrès Sioniste de Bâle (Vincent Vilmain), la Déclaration Balfour (Catherine Nicault), la Conférence de Wannsee (Christian Ingrao), la Déclaration d’Indépendance de l’État d’Israël (Denis Charbit), Nostra Aetate (Nina Valbousquet), la Guerre des Six Jours (Vincent Lemire) et les Accords d’Oslo (Élie Barnavi).
Parmi les personnages célèbres présentés : Rachi (Sylvie Anne Goldberg), Benjamin de Tudèle (Vanessa Van Renterghem), Maïmonide (David Lemler), Spinoza (Natalia Muchnik), Sabbataï Tsevi ( Rachele Jesurum), Glückel von Hameln (Yvan Jablonka), Moses Mendelssohn ( Dominique Bourel), le Baal Shem Tov ( Jean Baumgarten), les Rothschild ( Cyril Grange), Emmanuel Levinas (Dan Arbib) ou encore Golda Meïr ( Frédéric Encel)
Certaines histoires seront pour nombre de lecteurs des découvertes. Par exemple, en 523, le massacre des Chrétiens de Najran par le roi juif Yusuf ( Damien Labadie) ou la vie de la première femme-rabbin, Régina Jonas ( Nadia Malinovich).
Dans l’évocation du judaïsme en terre d’islam, le statut infamant de la dhimma a tendance à être minoré. On peut lire, sous la plume de Luke Yarbrough : « En tant que tel, il peut être présenté à la fois comme un instrument d’oppression perpétuelle et comme un moyen relativement éclairé de maintenir la diversité » (2)
Les histoires choisies sont classées chronologiquement. On part de 1207 avant notre ère avec l’évocation de la stèle guerrière de Mérenptah par Matthieu Richelle pour finir en 2015 avec la prise d’otages de l’Hyper Cacher et la vague terroriste islamiste par Jenny Raflik
Un cahier iconographique central agrémente l’ouvrage et de courtes notices biographiques permettent, en fin de volume, de mieux connaître les auteurs.
Un ouvrage très intéressant qu’il convient de découvrir et d’apprécier.
Jean-Pierre Allali
(*) Ouvrage collectif sous la direction de Pierre Savy, avec Katell Berthelot et Audrey Kichelewski. Éditions des Presses Universitaires de France. Août 2020. 596 pages. 29 €.
(1) Je suis l’auteur de nombreux ouvrages sur les Juifs de Tunisie comme « L’album d’images de Gagou et Kamouna » (Éditions de la Terre Retrouvée, 1980), « Les Juifs de Tunisie. Images de mémoire » (Éditions Gil Wern, 1996, « Lalou » (Éditions A.J. Press, 2001), « Juifs de Tunisie. Diaporama d’une diaspora » (Éditions Soline, 2003), « Il était une fois...Les Tunes. Images et paroles de mémoire. » (Éditions Glyphe. 2013), « Les Juifs de Tunisie sous la botte allemande. Chronique d'un drame méconnu » (Éditions Glyphe, 2014).
En 2020, j’ai publié, dans le cadre des Études du Crif, « Les Juifs de Tunisie. Deux mille ans d’une belle histoire » (N°60).
(2) On pourra trouver la liste très diversifiée des mesures imposées aux dhimmis dans mon ouvrage « Séfarades-Palestiniens. Les réfugiés échangés ». Editions Safed, 2005.