Jean-Pierre Allali
Pourquoi Israël ? Les tentations territoriales : Avoir, Être, Pouvoir, par Mikhaël Benadmon*
Voici un livre érudit d’exégèse biblique et talmudique. Comme tous les ouvrages de ce genre, il est parfois difficile d’accès, mais le lecteur patient est récompensé, in fine, de sa ténacité. L’auteur a choisi trois verbes pour structurer son étude : avoir, être et pouvoir. Avoir, ou la tentation économique, Être ou la tentation spirituelle et Pouvoir, ou la tentation politique.
La première partie est l’occasion, notamment, de redécouvrir les lois qui régissaient, dans l’ancien Israël, l’agriculture avec le principe fondamental des prélèvements et autres dons : pea, chikheh’a, leket et maaser ani, destinés aux pauvres et aux étrangers. Des dispositions sociales révolutionnaires pour l’époque. On y parle aussi de la centralité de Jérusalem, alors en concurrence avec Babylone. Une mention du Temple d’Onias érigé à Leontopolis en Égypte entre 154 et 170 avant l’ère chrétienne pose la question de la possibilité de remplacer le Temple détruit de Jérusalem par un autre lieu saint de vénération.
Dans la seconde partie, l’auteur commence par poser le problème de la sainteté de la terre d’Israël et analyse la position de Maïmonide sur ce sujet ainsi que celle de trois de ses disciples contemporains : Rabbi Simha Hacohen de Dvinsk, Rabbi Yossef Dov Soloveitchik et Yechayahou Leibowitz. Plusieurs autres rabbins à travers les siècles sont également mis à contribution. Après une comparaison intéressante entre le saint et le sacré, l’auteur en vient à aborder, après la question du « Pourquoi Israël ? », celle du « Comment Israël ? ». Il envisage trois modalités : la conquête politique, la dépendance économique et l’incursion démographique. Un développement intéressant concerne les dix ordonnances édictées par Maïmonide sur Jérusalem. Pour le célèbre médecin-philosophe-rabbin, il était par exemple interdit de faire transiter des ossements humains par la ville, d’y donner des maisons en location ou encore d’y planter des jardins et des vergers.
Bien que l’auteur n’ait aucune prétention géopolitique, il nous rappelle, à bon escient, les étapes contemporaines du statut de Jérusalem :
« La première, connue sous le nom de résolution 181 de l’ONU, présentée le 29 septembre 1947, dans le plan de partage élaboré par l’UNSCOP ( United Nation Special Committee On Palestine), confère à Jérusalem et à sa proche banlieue le statut de corpus separatum, zone qui restera sous contrôle international et qui ne fera partie intégrante ni de l’État juif, ni de l’État arabe envisagés. Dans cette option, Jérusalem n’est soumise à aucune souveraineté nationale. La deuxième option correspond aux années 1948-1967, période d’occupation jordanienne de Jérusalem-Est En 1950, la Jordanie annexe Jérusalem-Est ainsi que le reste de la Cisjordanie. La ville est ainsi partagée en quartiers juifs et arabes et, contrairement aux accords, l’accès aux lieux saints du judaïsme et au Mur Occidental est interdit. Enfin, le troisième statut apparaît après la conquête de Jérusalem-Est à l’issue de la guerre des Six Jours et prend une forme juridique dans la Loi de Jérusalem adoptée le 30 juillet 1980 par le parlement israélien. Jérusalem est alors proclamée capitale « une et indivisible » de l’État d’Israël ». Voilà qui est clair et remet certaines idées en place. Á propos de lé résurrection d’Israël, une question délicate est débattue, celle de l’annulation de certains jeûnes.
Enfin, dans une troisième et dernière partie, le délicat sujet de ce que l’auteur désigne comme « les exemples de tensions entre le texte biblique et les principes de la moralité élémentaires » est abordé. En effet , « Les textes bibliques ne manquent pas de susciter chez le lecteur un malaise et un sentiment d’inconfort… ». Dans ce contexte, le statut de l’étranger tient une bonne place. L’étranger qui peut être le « guer », avec ses variantes « guer tochav » et « guer tsedek », le « nokhri », le « réa » ou encore le « amit ».
Ces considérations sur l’étranger mènent tout droit à la question, ô combien actuelle, des conflits, des guerres justes et des guerres injustes, des guerres religieuses ou « imposées ». Maïmonide, encore lui, est appelé à la barre : La guerre imposée, dit-il, c’est « la guerre contre les sept peuples, contre Amaleq et celle qui a pour but de sauver Israël des mains d’un ennemi qui l’attaque. Ensuite, il pourra entreprendre une guerre autorisée. C’est une guerre contre d’autres nations dont l’objectif est d’élargir les frontières d’Israël, d’étendre sa renommée et sa notoriété ». Et le même Maïmonide de préciser : « On n’entre en guerre avec personne dans le monde sans qu’auparavant on lui ait proposé la paix ».
Le problème des victimes co-latérales est évidemment sous-jacent. La position juive est résumée par le rabbin Israël Rosen : « La morale nous oblige à porter atteinte à une population hostile ».
Autres questions abordées dans ce troisième et dernier chapitre : les punitions collectives et les extraditions.
Une lecture parfois ardue mais l’ouvrage est très intéressant.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Lichma. Préface de Robberechts Edouard. 342 pages. 26 €.