Jean-Pierre Allali
Suis-je le gardien de mon frère ? La tragédie des Chrétiens d’Orient, par Albert Naccache
Partout, dans le monde arabo-musulman, la présence chrétienne, pourtant millénaire, se réduit, au fil des ans, comme une peau de chagrin. À l’instar du sort qui fut réservé aux populations juives peu à peu contraintes à l’exil.
Albert Naccache, qui a visiblement consulté des milliers de documents : archives, livres, films…nous propose une étude magistrale sur un sujet hélas délaissé.
Comme pour son précédent ouvrage, « Hamas et Hezbollah de France » (1), l’auteur alterne, tout au long des pages, commentaires éclairés et reproductions d’articles. Dans un sympathique désordre auquel il convient d s’habituer pour apprécier ce travail exceptionnel.
Le constat est sans appel. À de très rares exceptions près, la chrétienté d’Orient se meurt. Dans les terres, pourtant, qui ont vu naître la foi en Jésus, natif de Bethléem en Terre Sainte.
« Les chrétiens d’Orient sont menacés. Ils finissent toujours par payer le prix de l’instabilité régionale sans qu’il y ait eu la moindre provocation de leur part…Ils sont menacés dans leurs droits de citoyens ou de résidents. Leur statut de « Dhimmis » les soumet à des mauvais traitements et à l’humiliation provoquée par l’intolérance, l’inégalité et l’injustice. Toutes ces persécutions sont aggravées avec les progrès de l’islam radical ».
Dès lors, c’est par millions que les Chrétiens ont abandonné leurs foyers et ont été amenés à émigrer. Il y a un siècle, on comptait 20% de Chrétiens au Moyen Orient. En 2010, ils n’étaient plus que 5% et la tendance se confirme de nos jours.
Les églises d’Orient sont regroupées en six principaux rites : le rite chaldéen ou syro-oriental, le rite alexandrin, le rite antiochien ou syro-occidental, le rite arménien, le rite byzantin et le rite latin.
Qui sont les Chrétiens d’Orient ? « Les chrétiens de culture arabe sont aussi de culture araméenne, arménienne, copte ou grecque depuis toujours. La plupart ne sont pas arabes ethniquement. Ils sont coptes, assyriens, phéniciens, cananéens, chaldéens,…et leurs pays ont été conquis par les arabo-musulmans au VIIème siècle ».
Pays par pays, Albert Naccache nous fait découvrir ces Chrétiens d’Orient qui disparaissent peu à peu, inexorablement. Il nous emmène en Jordanie où se situent le mont Nébo d’où Moïse aperçut la Terre promise avant de mourir et les vestiges de l’église d’Aqaba qui datent du 3ème siècle. Au Liban, « terre d’élection de la Vierge », où l’on peut, par ailleurs, découvrir l’antique synagogue de Deir-El-Qamar, la chrétienté a longtemps été majoritaire. Ce n’est plus le cas de nos jours et la déferlante musulmane s’avère impitoyable. En 1932, avec 800 000 âmes, les Chrétiens formaient 55% de la population. Ce chiffre est tombé aujourd’hui à 27%. L’islamisation des municipalités du Sud, contrôlées par le Hezbollah s’intensifie. En Syrie, la forteresse de Krac rappelle le temps des chevaliers chrétiens. En Irak, patrie d’Abraham, se trouve la Ninive biblique devenue Mossoul. Dans le village kurde d’Alqosh repose le prophète Nahum. Dans ces deux pays, c’est la descente aux enfers pour les Chrétiens. Le 4 février 2016, le parlement européen a reconnu le génocide des Chrétiens d’Irak et de Syrie. Sans oublier le massacre des Yézidis. Tandis que des milliers de Chrétiens ont fui Alep, des églises sont détruites à Bagdad, à Maaloula, à Kirkouk, à Mossoul et à Raqqa. Des ecclésiastiques sont régulièrement enlevés en Syrie. En Irak, le nombre de Chrétiens est passé en quelques années de 1,5 million à 400 000. « Pour les Pieds-Noirs d’Algérie, c’était la valise ou le cercueil. Pour les Chrétiens d’Irak, c’est le cercueil et la valise pour les survivants ».
L’Égypte, c’est le mont Sinaï où Moïse reçut la révélation divine et où les pèlerins chrétiens sont invités de nos jours à refaire le parcours de la Sainte Famille. C’est là que vivent les Coptes, qui « constituent la plus grande minorité chrétienne du Moyen Orient ». Bien que des centaines de milliers d’entre eux aient quitté le pays, ils représentent en moyenne 10% des 86 millions d’habitants. Hélas, « les Coptes souffrent de persécution et de discriminations » car « les salafistes jouent aux trouble-fêtes ». Attentats, destructions d’édifices religieux, la peur au quotidien. Un étonnant record a été battu : à Kom El-Raheb, une église a été ouverte au culte pendant…60 minutes !
En Jordanie vivent environ 200 000 Chrétiens, catholiques et orthodoxes soit 6% de la population du pays. Le retour au parlement, en 2016, des Frères Musulmans, n’est pas sans poser des problèmes de charia.
La Tunisie, qui compte aujourd’hui 99% de Musulmans, c’est le pays de Sainte-Monique, mère de Saint Augustin d’Hippone. La forte présence chrétienne dans ce pays est attestée par le cardinal Lavigerie, dont la statue dominait l’entrée de la ville arabe à Tunis, par les Pères Blancs, par les établissements et les institutions de Notre-Dame-de-Sion et par la procession de Notre-Dame de Trapani à la Goulette. Sans oublier la monumentale cathédrale de Tunis qui fait face à l’ambassade de France.
Dans ce pays comme en Afrique du Nord en général, « il y a peu de problèmes car le nombre de Chrétiens est proche de zéro ». « Les cloches des églises ne sonnent plus » et, de 115 églises autrefois, il n’en reste que cinq en fonction. On notera par ailleurs que la cathédrale de Carthage a été transformée en music-hall.
La Turquie, où est enterré saint Nicolas, c’est, probablement, « après Israël, le pays où l’on trouve le plus de vestiges archéologiques liés à la Bible et au christianisme ». Et pourtant, sous la férule du président Erdogan, la proportion de Chrétiens est passée en quelques années de 20% à 0,2 % ! La cathédrale Sainte-Sophie d’Istanbul va devenir une mosquée. Arrestations et meurtres de Chrétiens se succèdent.
Au Maroc, que les Juifs ont quitté dans leur grande majorité, une trentaine d’églises continuent de fonctionner mais nombre d’entre elles ont été, au cours des dernières années, transformées en centres culturels, en hôtels et même en mosquées. Les Chrétiens évangélistes sont, eux expulsés pour « sectarisme ».
En Algérie, les cimetières chrétiens comme juifs sont rasés et transformés en décharges à ordures. Dans un autre domaine, les procès pour conversion au christianisme se multiplient.
En Iran se trouve l’église Mar Noukha où saint Thomas , s’est, dit-on, reposé. Dans ce pays, certaines fonctions comme celle de directeur d’école, sont interdites aux Chrétiens. Il est par ailleurs prohibé de dire la messe en persan et les convertis sont passibles de prison.
En Arménie, pays chrétien où il n’y a pas de problème se situe le mont Ararat qui abriterait les restes de l’Arche de Noé.
En Éthiopie, sur la Corne de l’Afrique, le patrimoine chrétien est diversifié. Le pays est à majorité chrétienne mais les nuages s’amoncellent. Le 1er mars 2019, aux cris de Allahou Akbar, des Musulmans ont attaqué dix églises dans la ville d’Alaba Kulito.
En Arabie Saoudite, « toute expression d’une foi autre que l’islam demeure prohibée » tandis qu’aux Émirats Arabes Unis, même si quelques églises fonctionnent, « le prosélytisme pour d’autres religions que l’islam reste cependant interdit ».
Au Nigeria, les islamistes de Boko Haram sèment la terreur. On y connaît des messes sanglantes. Des prêtres sont régulièrement enlevés. Les conversions forcées à l’islam, notamment de jeunes filles chrétiennes, sont monnaie courante. « Le Nigeria est le pays où le plus de missionnaires ont été tués en 2017 ». On parle même d’un génocide des Chrétiens dans ce pays.
Situation difficile également au Pakistan où les attentats et les assassinats de Chrétiens se multiplient. Chaque année, en moyenne, 700 Chrétiennes y sont enlevées et converties de force à l’islam. Le délit de blasphème y est sévèrement réprimé. L’affaire Asia Bibi en témoigne.
Dans les Territoires palestiniens, en Cisjordanie et à Gaza, les Chrétiens - environ 50 000 âmes- font face à de nombreux problèmes. Autrefois à 90% chrétienne, Bethléem est, de nos jours, aux deux tiers musulmane. À Gaza, le millier de Chrétiens qui subsiste encore est la cible d’attaques salafistes. Les fuites de certains Gazaouis vers Israël se multiplient.
Et en Israël, qu’en est-il ? Peut-on affirmer « Chrétiens heureux comme Dieu à Jérusalem ? ». Le pays compte environ 160 000 Chrétiens et « Israël est le seul pays du Moyen Orient avec une croissance de la population chrétienne. Cette population a quadruplé depuis 1948 ».
Dès lors, on pourrait penser que la sympathie des Chrétiens d’Orient va plutôt vers l’État juif. Il n’en n’est rien. Par calcul ou par incompétence, par jalousie ou par mépris, nombre de dirigeants chrétiens ont choisi de soutenir les Palestiniens et le BDS. Certes, des Chrétiens d’Israël sont de plus en plus nombreux à rejoindre Tsahal, un Arabe chrétien israélien, Salim Joubran, est juge à la cour suprême de Justice depuis 2003 et George Deek a été le premier Arabe chrétien à être nommé ambassadeur d’Israël le 15 novembre 2018. Il est en poste à Bakou en Azerbaïdjan. De nombreuses communautés chrétiennes sont installées en Israël. Mais, c’est un fait, « L’Église a choisi le dialogue avec l’islam et les pays majoritairement musulmans ». Quant au pape, il « cavale après l’islam ». Sans oublier la « naïveté des Chrétiens de gauche » ! En fait, « la longue histoire entre l’Église et la Synagogue s’est pacifiée mais l’Église d’Orient n’a pas encore pris le chemin du dialogue et de la reconnaissance ». Bref, l’antisémitisme et l’antisionisme demeurent vivaces. On va jusqu’à affirmer que Jésus était un Musulman palestinien et qu’il y a une mission christique des Palestiniens. Les déclarations anti-israéliennes de certains responsables religieux chrétiens du monde arabo-musulman sont légion mais on reste véritablement confondu à la lecture de prises de positions d’organismes comme Kairos 2009 et Albert Naccache a bien raison de nous proposer in-extenso les 16 pages d’un document publié par cette organisation et signé par 16 théologiens palestiniens dont Sa Béatitude Monseigneur Michel Sabbah.
Faut-il aider les Chrétiens d’Orient ? Sommes-nous les gardiens de nos frères ? Quelle attitude adopter face à des Chrétiens opprimés et en détresse mais dont nombre de dirigeants ont opté pour une critique virulente de l’État des Juifs ? La réponse est difficile et délicate.
Un livre essentiel. À découvrir !
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Les Unpertinents. Août 2019. 392 pages. 24 €.