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« Garder le silence nous rend complice.
Complice d’un double standard écœurant, d’une injustice sans limite qui, sous couvert de bonnes intentions, ne font que masquer le véritable visage d’une haine inépuisable. Je veux parler de l’antisionisme, cet « antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. [...] la permission d’être démocratiquement antisémite » pour reprendre les mots du grand philosophe français Vladimir Jankélévitch.
Si je n’ai plus de mandat depuis mon départ du conseil municipal de Barcelone à l’été 2021, je ne peux pour autant pas rester muet lorsqu’il en va de l’avenir de l’Europe et de nos valeurs.
Et il y a bien un sujet où jamais je ne me tairai car il est le combat de ma vie. Celui de la lutte contre cette lèpre qui nous vient du fond des âges, toujours annonciatrice des grands malheurs : l’antisémitisme.
Après des années de coopération, j’apprends que le conseil municipal de la ville de Barcelone s’apprête à examiner une « initiative citoyenne » prévoyant la fin de son jumelage avec Tel Aviv et de toute relation avec Israël portée par le mouvement BDS et soutenu – sans surprise - par la Maire de la ville, Ada Colau, et son parti Comuns.
Si je m’en inquiète, c’est parce que le sujet est déjà vif sur la scène française et que le climat n’a de cesse de se détériorer, suscitant la crainte chez mes compatriotes juifs français. Bien que la situation de la France et l’Espagne soit différente à de nombreux égards, je m’alerte d’un discours de plus en plus hostile à l’égard des Juifs et d’Israël, et ce au détriment de la paix civile.
En Espagne, les Juifs ont été expulsés en 1492, effaçant toute une mémoire et une culture, les dispersant dans le reste de l’Europe ou autour du bassin méditerranéen.
Le pays où je suis né n’a pas participé à la deuxième guerre mondiale, mais le discours franquiste sur les Juifs s’est nourri de l’antijudaïsme catholique traditionnel et populaire, profondément ancré dans les mentalités. Cette propagande a construit un discours idéologique et politique où le judaïsme figurait, aux côtés de la franc-maçonnerie et du communisme, comme l’un des piliers d’un même ennemi intérieur et extérieur. Il est vrai cependant avec peu d’effets et il n’y a pas eu de véritable collaboration avec les nazis sur ce sujet, sinon une forme de passivité. L’Espagne fut même un lieu de passage, de refuge transitoire pour les Juifs qui franchissaient les Pyrénées.
Depuis 1992, le judaïsme est reconnu par l’État espagnol comme l’une des trois grandes confessions minoritaires d’enracinement notoire, avec l’islam et le protestantisme.
Le 30 novembre 2015, recevant les représentants des Juifs d'Espagne, le Roi Felipe VI prononce un vibrant discours avant de conclure : « Comme vous nous avez manqué ! » Cette poignante interpellation fut confirmée par une loi permettant aux descendants de Juifs séfarades expulsés par les rois catholiques d'accéder à la nationalité espagnole. La mémoire est en train de se reconstituer.
Mais la population juive est estimée en Espagne autour de 30 000 alors que de l’autre côté des Pyrénées on l’estime à environ 500 000.
La France fut la terre d’émancipation des Juifs il y a deux cents ans, de la retentissante Affaire Dreyfus et du célèbre « J’accuse » d’Émile Zola à la fin du XIXe mais aussi l’une des terres de son martyr - 76 000 déportés et morts dans les camps de concentration au cours de la période de collaboration avec les nazis.
L’antisémitisme y a pris des proportions inquiétantes depuis vingt-cinq ans. Combien avons-nous été à alerter sur les dangers de cette vieille passion mortifère et ce, dans un silence assourdissant ?
La gauche institutionnelle a été trop faible, peu courageuse au début des années 2000 car elle n’a rien voulu voir au moment de la recrudescence des actes contre les Juifs de France pendant la deuxième Intifada au Proche-Orient. Elle était désarçonnée car cet antisémitisme venait du monde arabo musulman, d’enfants de l’immigration et du « prolétariat » des banlieues. Autrement dit, il ne venait pas de l’extrême droite traditionnelle, mais des « damnés de la terre ». La gauche se refusait à la « stigmatisation ». Quel aveuglement !
Conséquence : il y a eu un double exode, extérieur, des Juifs français vers Israël et intérieur, des banlieues vers Paris. Comment accepter que des citoyens soient assassinés parce qu’ils sont Juifs ?
J’ai fait parti de ceux qui ont posé le vrai diagnostic. Celui d’un antisémitisme historique qui se nourrit de nouvelles théories complotistes ou de l’islam radical, et dont le nouveau visage puise ses forces dans la détestation de l’État d’Israël. La réincarnation de la haine des Juifs dans l’antisionisme en est le camouflage le plus dangereux. Le prétexte inespéré d’avoir le droit, et même le devoir, de haïr Israël.
Au fil des années et des évolutions au Proche-Orient la force et la puissance de feu supérieure d’Israël ont été considérées comme la preuve irréfutable de sa « culpabilité morale ». De la conférence de Durban dès 2001 jusqu’aux calomniateurs désespérés qualifiant d’apartheid la politique d’Israël, on cherche à faire passer l’État hébreu pour une nouvelle puissance dominatrice et colonialiste. Cela a donné beaucoup d’arguments à une partie de la gauche - Podemos et Comuns, La France insoumise - pour enfourcher le cheval de l’antisionisme. La romancière Rosa Montero soupçonnait déjà dans une chronique en 2006 « que la phobie anti-israélienne est en train de se convertir en nouveau signe d'identité pour une certaine pseudo-gauche ».
L’antisionisme qui déferle en Europe depuis le début de ce siècle, est au carrefour entre l’extrême droite, l’extrême gauche, les islamistes et d’autres groupes radicaux unis dans la haine des Juifs et d’Israël.
L’antisionisme est un antisémitisme. C’est sur cette triste voie que la France et de l’Espagne se rejoignent.
L’État d’Israël est bâti sur onze lois fondamentales qui font de ce pays un État de droit, démocratique et égalitaire, garant de la dignité humaine et des libertés de tous ses citoyens. Tel Aviv en est la représentation même, l’exemple d’une cité démocratique, ouverte et progressiste qui partage de nombreux points communs avec sa sœur catalane. Et pour ne révéler aucun secret, le pays fait office d’exception dans la région.
Chacun est libre en Europe de critiquer la politique des gouvernements israéliens, de s’indigner du sort des palestiniens, mais c’est en Israël même que les critiques ou les inquiétudes se font entendre le plus. Cette démocratie n’existe pas dans les territoires gérés par l’Autorité palestinienne ou à Gaza qui vit sous le joug du Hamas. Les personnes LGBTI y sont pourchassées et obligées de trouver soutien et protection à Tel Aviv.
« [...] No sopesa los compromisos en materia de derechos humanos y respeto a la dignidad humana como principios inexcusables en el impulso de una relaciones internacionales que promuevan la justicia global. » affirmait la Maire de la capitale catalane. Elle prend le chemin exactement inverse.
Ne considérer Israël que sous le prisme du conflit israélo-palestinien est une faute majeure. Barcelone et Tel Aviv sont des sociétés ouvertes et accueillantes, des villes leaders qui se nourrissent d’un partenariat ancien et fructueux depuis de nombreuses années. Les accusations de « crimes d’apartheid » portées par les initiateurs de la proposition de rompre le jumelage sont insupportables et n’ont pour seul motif que de discréditer l’unique État démocratique du Moyen-Orient, capable de bâtir les Accords d’Abraham avec de nombreux pays arabes.
J’appelle le conseil municipal de Barcelone à rejeter cette proposition indigne. Je rappelle que le mouvement BDS a été condamné en Espagne des dizaines de fois pour discrimination à l’initiative de l’ACOM (Acción y Comunicación para Oriente Medio).
Une ville aussi importante ne peut pas s’inscrire dans un mouvement de boycott aussi ignoble qui légitimerait par voie institutionnelle les discours antisionistes et de haine.
L’antisionisme et l’antisémitisme nous concernent tous, au-delà de toute considération religieuse ou nationale. Un jour comprendrons-nous peut-être qu’il faut lutter contre toutes les formes d’antisémitisme ni plus ni moins que pour nous-mêmes.
Une société qui se perd dans la haine n’est autre qu’une société à la dérive implacable de défendre des valeurs communes, au détriment de la vérité et de la paix. Je n’ai eu de cesse de le répéter dans le pays de mon cœur, je me désole à devoir en faire de même dans le pays de ma chair. »
Manuel Valls
Ancien conseiller municipal de Barcelone
Ancien Premier ministre de la France
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